En Chine, la condamnation de Gu Kailai est un épisode de la lutte pour le pouvoir

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Gu Kailai a été condamnée à mort. Une information banale dans un pays où les peines capitales sont les plus nombreuses du monde. Mais Mme Gu n’est pas n’importe qui. C’est la femme de Bo Xilai, un ancien membre du Bureau politique du Pari communiste chinois, l’ex-homme fort de Chongqing, une mégapole de 35 millions d’habitants dans le sud de la Chine, un « prince », c’est-à-dire le fils de Bo Xibo, un des premiers compagnons de Mao Zedong. Son crime ? Elle a reconnu avoir empoisonné à l’automne dernier Neil Heywood, un ressortissant britannique ami de la famille. Elle l’accusait de vouloir s’en prendre à son fils, Bo Guagua, qu’Heywood avait aidé à fréquenter une célèbre public school anglaise avant de l’inscrire à Harvard. Ainsi va la vie des fils de « prince » dans la Chine communiste du XXIè siècle.

L’affaire a éclaté quand le chef de la police de Chongqing et bras droit de Bo Xilai, Wang Lijun, a déballé toute l’histoire devant les agents du consulat américain de Chengdu. Quelques semaines plus tard, Bo Xilai perdait son poste de chef du Parti à Chongqing, sa place au Bureau politique et toute perspective de devenir un des neuf membres du Comité permanent du Bureau politique du PCC, la plus haute instance dirigeante de la Chine. Son sort est inconnu. Mais la condamnation de sa femme à la peine de mort, avec deux ans de sursis, ce qui laisse entendre qu’elle pourrait toutefois ne pas être exécutée, confirme que sa carrière est terminée.

Ainsi est éliminé un des prétendants au pouvoir suprême à Pékin. Car la fin de cette année et le début de l’année prochaine verront la relève au sommet du Parti et de l’Etat. Au 18è Congrès, en octobre, sept des neuf membres du Comité permanent seront remplacés. Le président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao cèderont le pouvoir respectivement à Xi Jinping et Li Keqiang. Lors de la session de printemps de l’Assemblée du peuple, Xi et Li pendront leurs fonctions dans l’Etat. Tel est le scénario mis au point depuis des mois déjà. Avec quelques incertitudes : quel sera le nombre de membres du Comité permanent ? Seront-ils neuf comme maintenant, sept comme il y a quelques années ou onze afin d’élargir l’aréopage ? Y aura-t-il une femme parmi eux ? Le rival de Bo Xilai, le chef du Parti de la région de Canton, qui passe pour un libéral, fera-t-il son entrée ?

Car quelle que soit la véracité de faits qui ont amené la condamnation de la femme de Bo Xilai, l’affaire est d’abord politique. Bo Xilai s’était taillé un fief à Chongqing d’où il s’apprêtait à défier le pouvoir central. Il avait mené une lutte sans merci contre la corruption, prétexte aussi à éliminer ses adversaires politiques. Il avait réhabilité les chants « rouges », ces chansons révolutionnaires qu’il faisait entonner dans les usines, les parcs et les hôpitaux psychiatriques. Il n’en était pas pour autant un adversaire de l’ouverture économique. Au contraire. Son passage au ministère du commerce extérieur lui avait permis d’amasser un coquet patrimoine.

Sa mise à l’écart est un coup porté à la tendance dite « néo-maoïste ». Normalement, la lutte pour le pouvoir devrait se passer derrière les hauts murs du quartier gouvernemental de Pékin ou dans la station balnéaire de Heibei où depuis Mao, les hauts dignitaires ont l’habitude de passer quelques jours de vacances. L’affaire Bo Xilai et Gu Kailai a troublé le bel ordonnancement. Les Internautes et autres utilisateurs de Weibo, le twitter chinois – ils sont plus de 500 millions d’internautes dont plus de 250 millions de blogueurs – ont fait le reste. Il est de plus en plus difficile pour les responsables chinois de décider dans le secret, et ce, à un moment où la prochaine direction devra prendre de nouvelles orientations sur les réformes économiques et politiques, la relance de la croissance par la demande intérieure, etc.

S’apprêtant à quitter le pouvoir, le Premier ministre Wen Jiabao a une fois de plus entonné l’hymne réformiste. En revanche, on ne sait rien des intentions du nouveau tandem Xi Jinping – Li Keqiang. Jusqu’à maintenant ils se sont distingués par leur conformisme. C’est la manière garantie pour arriver au pouvoir. C’est après qu’ils devront faire leurs preuves.