En Egypte, la révolution des dupes

Chaque semaine, l’équipe de Boulevard-Extérieur commente ici un événement de politique internationale.

La libération éventuelle de l’ancien dictateur Hosni Moubarak dans le courant de la semaine serait le meilleur symbole de la restauration en cours en Egypte, deux ans et demi après la révolution de 2011. Les militaires ont repris le pouvoir qu’ils avaient occupé pendant des décennies depuis l’arrivée du colonel Nasser au pouvoir en 1952. Après les manifestations populaires de l’hiver 2011, ils avaient encore dirigé une période de transition avant d’accepter des élections présidentielles et législatives, qui redonnaient le pouvoir aux civils.

Cette fois, ils risquent de ne pas se retirer aussi facilement dans leurs casernes. Avec l’aide des « révolutionnaires » de la place Tahrir qui aspiraient à la démocratie, ils ont chassé le président Morsi et les Frères musulmans, élus en 2012, dans un bain de sang qui a fait quelque mille morts.

Derrière le général Abdel Fattah al-Sissi, ils ont repris les rênes en ne laissant autour d’eux que des vaincus. Les islamistes bien sûr, d’abord. Mettant à profit les réseaux sociaux qu’ils avaient tissés sous Moubarak et la division des partis laïques, les Frères musulmans ont gagné les premières élections (à peu près) libres. Leur légitimité « démocratique » n’était guère contestable. Même si, comme l’a remarqué le président Obama, ils n’ont pas pu ou pas voulu intégrer l’ensemble des forces politiques dans le processus de construction des nouvelles institutions. Arrivés au pouvoir, ils ont cru que tout leur était permis. C’est la maladie infantile des régimes qui succèdent à des dictatures. Incompétents en économie, hégémoniques et dogmatiques, les Frères se sont mis à dos les laïques avec lesquels ils avaient destitué Moubarak.

Mais il y a fort à craindre que les « révolutionnaires » qui s’en sont remis à l’armée pour se débarrasser de la confrérie et des « terroristes » islamistes aient fait un marché de dupes. Malgré l’intervention sanglante, ils continuent de faire confiance aux militaires et au général Sissi, accusant même les quelques libéraux, comme Mohamed el-Baradei, qui ont osé protester contre la brutalité de la répression, d’être des « traitres ». Ils pourraient très vite déchanter quand ils s’apercevront que le général Abdel Fattah al-Sissi n’a aucune intention de leur laisser la responsabilité du gouvernement, à moins que ce ne soit sous la forme d’une équipe fantoche. La lutte contre le terrorisme islamique sera un bon prétexte à la prolongation sine die de l’état d’urgence et à la répression de toute manifestation d’opposition.

Les militaires égyptiens n’ont pas grand-chose à redouter des réactions internationales. Les Américains se sont bien gardés de qualifier le renversement de Mohamed Morsi de « coup d’état », ce qui les aurait contraints de suspendre leur aide (1,3 milliard de dollars d’aide militaire et 200 millions d’aide économique). Les Européens se sentiront peut-être obligés de faire un geste en suspendant l’envoi de subsides mais celui-ci était de toute façon bloqué par la situation chaotique régnant en Egypte. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis qui soutiennent les militaires égyptiens contre le Qatar et la Turquie alliés des Frères musulmans, ont déjà mis 12 milliards de dollars sur la table, afin de compenser l’éventuelle suspension des aides occidentales. Quant aux Israéliens, au-delà de la discrétion officielle de rigueur, ils se félicitent du retour au pouvoir de l’armée qui depuis Sadate respecte l’accord bilatéral.

Les vraies victimes sont les Egyptiens qui ont manifesté en masse pour se débarrasser d’abord d’une dictature militaire puis de la menace d’un Etat islamiste. Ils peuvent avoir l’impression que tout est à refaire mais il est peu probable qu’ils aient définitivement renoncé.