En Europe du Nord, les sociaux-démocrates au pouvoir

La social-démocratie est-elle en train de relever la tête en Europe après une série de revers électoraux qui semblaient la condamner à jouer les seconds rôles ? Cette question peut paraître paradoxale au lendemain d’élections européennes qui lui ont fait perdre une trentaine de sièges au Parlement de Strasbourg et qui ont mis en évidence le recul des deux grands partis sociaux-démocrates européens, le SPD en Allemagne et surtout le PS en France. Ici ou là apparaissent pourtant des signes plus encourageants, qui entretiennent la promesse d’un renouveau.

En Espagne et au Portugal, les socialistes sont revenus au pouvoir avant de confirmer leur retour en grâce aux élections européennes de 2019. Aux Pays-Bas ces mêmes élections ont placé en tête, contre toute attente, les travaillistes conduits par Franz Timmermans, vice-président de la Commission sortante et candidat à la succession de Jean-Claude Juncker. Dans les pays baltes, les sociaux-démocrates progressent (en Estonie et en Lettonie) ou se maintiennent (en Lituanie). Ils font bonne figure en Autriche, l’emportent à Malte, gagnent des voix en Slovénie.

L’évolution la plus spectaculaire est celle des trois Etats nordiques de l’Union européenne. Pour la première fois depuis une vingtaine d’années, le Danemark, la Finlande et la Suède seront dirigés simultanément par les sociaux-démocrates. Dans ces trois pays, ceux-ci ont en effet gagné les élections législatives. A Copenhague, Mette Frederiksen va être chargée de former le gouvernement après la victoire de son parti le 5 juin. A Helsinki, Antto Rinne, sorti vainqueur des élections législatives du 14 avril 2019, vient d’être investi comme premier ministre. A Stockholm, Stefan Lötven, premier ministre sortant, a été reconduit dans ses fonctions le 18 janvier après le succès de son parti le 9 septembre 2018.

Défense de l’Etat-providence

Ces victoires ne sont pas éclatantes. En Suède, les sociaux-démocrates ont reculé, en voix, de 2,8 points par rapport aux élections législatives précédentes. Au Danemark, ils sont passés de 26,3 % en 2015 à 25,9 % en 2019, soit une perte de 0,4 points. En Finlande, ils ont progressé de 1,2 points. Aux élections européennes, les sociaux-démocrates ont perdu en Suède 0,7 points par rapport à 2015, mais ont gagné 2,4 points au Danemark et 2,3 points en Finlande. Au total le bilan est positif. La social-démocratie peut à bon droit, dans ces trois pays, reprendre espoir et rendre confiance à ses partenaires européens.

Pour vaincre, les sociaux-démocrates des trois Etats nordiques ont choisi de défendre fermement l’Etat-providence contre les menaces du néo-libéralisme. « Nous allons de nouveau mettre la question de l’Etat-providence en première position », a déclaré Mette Frederiksen, la nouvelle première ministre danoise. La mise en valeur du modèle social a été au cœur de la campagne au Danemark, comme elle l’a été en Suède et en Finlande. Cette voie est celle qu’ont empruntée les socialistes espagnols pour revenir au pouvoir. Elle est aussi celle que tentent de suivre, avec moins de succès, les socialistes français. – au risque de retomber dans les travers d’une « vieille gauche » incapable de s’adapter aux contraintes de la mondialisation.

L’autre question qui a mobilisé les électeurs dans les trois pays nordiques, marqués par une forte présence de l’extrême-droite, est celle de l’immigration. Les sociaux-démocrates, face à la concurrence des populistes, ont durci le ton. Mette Frederiksen, en particulier, s’est distinguée par la fermeté de son discours contre l’immigration. Certains lui ont reproché d’épouser les thèses des partis populistes et de trahir les valeurs de la gauche. « Pour moi il devient de plus en plus clair que le prix de la globalisation incontrôlée, de l’immigration massive et de la libre circulation des travailleurs est payé par les classes populaires », a-t-elle expliqué. Coïncidence ? Alors que l’extrême-droite a progressé en Suède et qu’elle s’est maintenue en Finlande, elle s’est effondrée au Danemark, n’obtenant que 8,7% des voix contre 21,3 % en 2015.

Apparemment le discours anti-immigration de Mette Frederiksen a payé. Il a fait gagner des voix aux sociaux-démocrates au détriment des populistes. Mais si l’on peut se réjouir du recul de l’extrême-droite, on peut aussi s’inquiéter de ce qu’il se fasse au prix d’une banalisation de ses idées.