La défense reste une priorité budgétaire de François Hollande

Le conseil de défense, réuni le mercredi 29 avril à l’Elysée sous la présidence de François Hollande, a décidé de « sanctuariser » le budget de la défense pour 2015 à 31,4 milliards d’euros, conformément à la loi de programmation militaire 2014-2019. 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires ont été en outre dégagés pour faire face aux coûts engendrés par les opérations extérieures et par l’opération « Sentinelle » décidée sur le territoire français après les attentats du 7 janvier. Le président de la République souligne ainsi l’engagement de la France dans une politique extérieure et de sécurité qui se veut ambitieuse.

Le Rafale commence à se vendre à l’étranger
Arnaud Gaillard, arnaud amarys. com, via Wikkicommons

La France est militairement engagée au Mali, en Centrafrique, en Irak, en Somalie, sans compter la participation à des missions de l’ONU, comme au Sud-Liban. A-t-elle les moyens de sa politique ? Jusqu’à nouvel ordre, il n’est pas question d’adapter la politique à des moyens limités. S’il se voulait un président « normal » en arrivant à l’Elysée en 2012, François Hollande s’est vite coulé dans le costume du chef des armées. En matière de politique étrangère et de défense, le chef de l’Etat jouit en France d’une liberté de décision que pourraient lui envier beaucoup de ses collègues dans le monde, y compris le président américain.
Les moyens sont certes disproportionnés. Un budget militaire vingt fois plus important aux Etats-Unis qu’en France (plus de 600 milliards d’euros contre un peu plus d’une trentaine), mais Barack Obama doit composer avec un Congrès, aujourd’hui à majorité républicaine, mais tout aussi jaloux de ses prérogatives quand il était démocrate. En France, le président n’a guère à se soucier du Parlement.
Il n’en reste pas moins que les troupes françaises sont simultanément engagées dans des opérations extérieures plus nombreuses que ne le prévoyait la Loi de programmation militaire de 2014, issu du Livre blanc sur la défense de 2013. (Quand un nouveau président arrive à l’Elysée, il commande en général un nouveau Livre blanc sur la défense pour se démarquer de son prédécesseur et imprimer son propre sceau, même si l’analyse de la situation internationale et les contraintes matérielles ne changent pas beaucoup d’un quinquennat à l’autre).

Pas de remise en cause

François Hollande n’a pas dérogé à la tradition mais sa conception de la politique de défense et de l’engagement de la France à l’étranger ne diffère pas fondamentalement de celle de ses prédécesseurs. Ceux qui comptaient – ils étaient peu nombreux – que le nouveau président socialiste remettrait en cause, au moins en partie, la dissuasion nucléaire, et se garderait d’intervenir à l’étranger aussi souvent que naguère, en sont pour leurs frais. 9000 soldats sont engagés dans des opérations à l’extérieur, 7000 en métropole pour le plan Vigipirate renforcé, auxquels il faut ajouter 3000 policiers et gendarmes.
La France reste un des pays européens qui consacre le plus de moyens à sa politique de défense avec un budget militaire qui représente 2,2% du produit intérieur brut, le même niveau que le Royaume-Uni mais 0,9 point plus élevé que l’Allemagne (1,3%). Ce choix pèse évidemment sur les finances publiques et contribue, pour une part, au déficit régulièrement critiqué par les institutions européennes.
A plusieurs reprises, les responsables français ont suggéré que leurs partenaires au sein de l’Union européenne prennent en considération le rôle international de Paris. Après tout, disent-ils, si la France est active dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, au Mali, en Centrafrique, etc., ce n’est pas seulement pour défendre ses propres intérêts, c’est aussi pour faire face à une menace qui concerne toute l’Europe. Le fardeau devrait être partagé.

Burden sharing

Il existe plusieurs manières de réaliser ce partage. Le plus évident – et le plus difficile – serait que les membres de l’UE, voire l’institution communautaire elle-même, aient la capacité et la volonté d’intervenir à l’extérieur des frontières européennes pour assurer leur sécurité. Ce serait la réalisation de cette politique extérieure de sécurité commune dont on parle depuis des décennies sans l’avoir jamais mise en œuvre. La première tentative remonte à… 1954 et son échec, voilà plus de soixante ans, n’est pas encore effacé. Au fil des années, des organismes ont été créés au sein de l’UE, indépendamment de l’OTAN puis en coordination étroite avec l’organisation atlantique, sans que ces embryons de défense européenne ne débouchent sur une action globale et cohérente. L’Europe mène, sous son propre drapeau, quelques opérations de rétablissement ou de maintien de la paix, au large des côtes de Somalie contre la piraterie maritime ou dans les Balkans. Mais jamais elle n’a été en mesure de jouer un rôle décisif et autonome dans une grave crise internationale. Il y a quinze ans déjà, les Etats membres de l’UE s’étaient mis d’accord pour créer une force de réaction rapide de 60 000 hommes. On les attend encore.
Le burden sharing (partage du fardeau) est une expression inventée jadis par les Américains pour inciter les Européens à contribuer plus à leur défense. L’ironie de l’histoire veut que ce soient les Français traditionnellement méfiants à l’égard de tout ce qui vient de l’OTAN, qui reprennent l’expression à leur compte. Une façon plus rapide et moins douloureuse de partager le fardeau est proposée par Paris : la Commission européenne devrait autoriser à déduire du déficit des finances publiques les sommes consacrées à des opérations militaires entreprises dans l’intérêt commun.

Une astuce pour différer les réformes ?

Le président Hollande en a parlé à la chancelière Merkel sans provoquer son enthousiasme. Outre le fait qu’il est difficile de distinguer ce qui est fait dans l’intérêt de tous les Européens et ce qui relève d’une politique purement nationale, l’idée renforce le soupçon de laxisme budgétaire pesant sur la France. N’est-ce pas encore une astuce pour avoir des comptes présentables sans entreprendre les réformes nécessaires par ailleurs ?
D’autres solutions sont envisageables, comme la participation à un fond commun qui contribuerait au financement des opérations extérieures. Mais les objections sont toujours les mêmes. La première est simple. Elle découle du principe qui paie, commande. Les partenaires de la France ne veulent pas financer des actions qui seraient décidées à Paris et pour lesquelles ils n’auraient pas leur mot à dire. Or des décisions collectives se heurtent à de nombreux obstacles. D’une part la France, par tradition et par nature institutionnelle (la prééminence du président de la République, chef des armées), est réticente à partager la décision avec d’autres. Surtout avec des pays dont la Constitution prévoit de lourdes procédures parlementaires pour tout engagement de l’armée à l’extérieur des frontières. C’est le cas en premier lieu de l’Allemagne. Un vote du Bundestag est un préalable à l’entrée en action de la Bundeswehr, qui est placée sous le commandement ni du président fédéral, ni de la chancelière, mais du ministre de la défense, en l’occurrence Ursula von der Leyen.

Divergences stratégiques

Mais ces difficultés institutionnelles ne doivent pas cacher que le handicap principal au développement d’une politique européenne de sécurité commune, que ce soit sous la forme communautaire ou d’une coopération entre Etats, voire d’une simple mutualisation des moyens, tient aux divergences d’analyse, d’objectifs et de stratégie entre les Etats membres de l’UE. Quand la France intervient en Afrique, elle est toujours et encore soupçonnée d’être mue par des arrière-pensées néocolonialistes. L’engagement franco-britannique en Libye en 2011 a montré que les Européens n’avaient pas la même appréciation de la menace et pas la même conception de leur rôle. Au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne a rejoint la Russie et la Chine dans l’abstention lors du vote de la résolution 1973 qui autorisait la zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. L’abstention russe et chinoise a été interprétée comme un geste positif (le refus de bloquer une action internationale) que Moscou et Pékin ont d’ailleurs regretté plus tard. Mais l’abstention allemande, elle, était un geste négatif, une manière de se désolidariser de ses alliés européens, la France et de la Grande-Bretagne, et américains. Le fait qu’aujourd’hui, étant donné la situation chaotique en Libye, des questions soient de nouveau posées sur la pertinence de l’intervention armée en 2011, ne change rien à cette manifestation de désunion de l’Union européenne.
Traditionnellement, la France et la Grande-Bretagne apparaissaient comme les deux grands pays européens capables de jouer un rôle militaire. Or les Anglais n’ont pas surmonté le traumatisme de la guerre en Irak aux côtés de George W. Bush. Ce traumatisme renforcé par les résultats discutables de l’intervention en Libye a amené la Chambre des communes a refusé une action en Syrie à l’été 2013 après l’utilisation de gaz par le régime de Bachar el-Assad. L’Allemagne étant toujours en retrait malgré quelques velléités activistes, la France se retrouve bien seule pour porter une ambition internationale. Si quelques Etats de l’Europe de l’est maintiennent, voire augmentent leur budget militaire, c’est pour des raisons strictement nationales, pour faire face à ce qu’ils considèrent comme un regain de la menace russe. Qui pourrait leur en faire grief ?