En Syrie, la « médiation de la dernière chance » confiée par les Nations unies et la Ligue arabe à l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, tarde à produire ses effets. Après avoir donné son accord au plan de paix proposé par le diplomate ghanéen, Bachar El Assad n’en a tenu aucun compte. Les opérations se sont au contraire intensifiées dans les jours qui ont suivi, alourdissant encore le cruel bilan du conflit. Les appels lancés par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, à un cessez-le-feu immédiat n’ont pas été entendus par le dictateur syrien, qui a choisi de poursuivre son offensive contre les insurgés.
D’importantes concessions ont pourtant été faites au régime syrien. Le plan de Kofi Annan, qui prévoit notamment la cessation de toutes les violences, l’acheminement d’une aide humanitaire et l’ouverture d’un dialogue politique, renvoie en effet dos à dos l’opposition et le pouvoir ; et il n’appelle pas au départ de Bachar El Asssad. Ces concessions étaient probablement nécessaires pour que les propositions de l’ancien secrétaire général de l’ONU reçoivent l’aval de la Russie et de la Chine, qui ont bloqué deux résolutions du Conseil de sécurité et s’opposent à toute condamnation du régime syrien. Mais elles justifient le scepticisme de ceux qui, comme Alain Juppé, accusent Damas de chercher seulement à gagner du temps.
La sanglante répression des opposants au régime continue donc, malgré les protestations d’une grande partie de la communauté internationale. En un an, plus de neuf mille personnes ont été tuées. D’abord pacifique, la contestation est devenue violente à mesure que se développait la lutte armée. En réponse aux bombardements qui frappent la population civile, la recrudescence des attentats fait craindre une dérive terroriste dont le pouvoir tire argument pour accentuer ses tueries. La militarisation du conflit renforce l’intransigeance de Bachar El Assad au moment où l’opposition est affaiblie par ses dissensions.
Comment mettre fin à l’escalade ? L’idée d’une intervention militaire, au nom de la « responsabilité de protéger », comme en Libye, a des défenseurs. Sans aller jusqu’à demander le renversement du régime par la force, le Conseil national syrien, principal interlocuteur de la communauté internationale, plaide pour la mise en place de corridors humanitaires et pour un soutien armé à l’Armée syrienne libre. A l’initiative de la Turquie, les « Amis de la Syrie », réunis à Istanbul, ont reconnu à la population un droit à l’autodéfense. Les partisans d’une action militaire soulignent que les autres options ont été explorées en vain et que Damas reste insensible aux pressions.
Est-ce pour autant la bonne solution ? Outre que la Russie et la Chine ne sont pas prêtes à lever leur veto à toute initiative hostile à Damas, beaucoup redoutent qu’une opération de force n’enflamme non seulement le pays mais la région tout entière. Le précédent de la Libye, disent-ils, ne saurait être invoqué dans le cas de la Syrie, dont le poids géopolitique est d’une tout autre importance. Son alliance avec l’Iran, en particulier, rend un éventuel affrontement hautement explosif. Il ne reste donc que la voie étroite de la négociation, associée à une politique de sanctions financières contre les responsables syriens.
Les « Amis de la Syrie » demandent un renforcement de ces sanctions. Ils apportent en même temps leur appui au plan Annan tout en souhaitant qu’une date limite soit fixée. Assad aurait annoncé à Kofi Annan un cessez-le-feu pour le 10 avril. Peut-on croire encore au succès de l’ancien secrétaire général de l’ONU ? Le fait nouveau est que la Russie et la Chine sont entrées désormais dans le jeu. Le président russe, Dmitri Medvedev, qui cédera son fauteuil dans quelques semaines à Vladimir Poutine, a salué « la dernière chance pour la Syrie d’échapper à une guerre civile longue et meurtrière ». Le ministère chinois des affaires étrangères a exprimé le voeu que « toutes les parties en Syrie participent aux efforts de médiation » de Kofi Annan.
La question syrienne est l’occasion pour ces deux puissances désireuses de s’affirmer sur la scène internationale de faire la preuve de leur autorité. La Russie et, à un degré moindre, la Chine ont la capacité d’agir sur la Syrie, dont elles se sont instituées les protectrices. C’est un défi pour ces deux pays émergents qui n’entendent pas laisser à l’Europe et aux Etats-Unis le monopole de la diplomatie mondiale. Mais c’est aussi une lueur d’espoir dans cette tragédie meurtrière.