En finir avec l’’’ethnocentrisme occidental’’

Contre la théorie du « choc des civilisations » et contre les néo-conservateurs français (André Glucksman, Pascal Bruckner), Jean-Claude Guillebaud se réjouit de l’émergence d’une « modernité métisse », qui prend des visages divers selon qu’on regarde l’Iran ou la Chine, la Turquie ou l’Inde. Dans un entretien avec Télérama (6 octobre 2008), Jean-Claude Guillebaud résume la thèse de son nouveau livre : Le Commencement d’un monde. Vers une modernité métisse (éd. du Seuil). Propos ­recueillis par Weronika Zarachowicz. Extraits.

Sur l’état du monde en 2008

JC Guillebaud : « comparez deux plani­sphères, l’un qui date des années 1980 et l’autre d’aujourd’hui. Que constatez-vous ? Primo, que la démocratie a bien progressé dans le monde. En 1980, l’Amérique latine est dominée par les dictatures militaires, et tout l’est de l’Europe est sous la botte de régimes communistes. Secundo, les conflits d’aujour­d’hui sont de bien plus basse intensité que ceux des années 1980. Le monde des années 1970 et 1980 était autrement à feu et à sang. Aujourd’hui, l’Amérique de George Bush est gravement embourbée en Irak et, en cinq ans, les Américains ont perdu 4 000 hommes. Mais, au Vietnam, ils en avaient perdu 58 000 en sept ans ! Depuis le XIVesiècle, l’intensité de la violence n’a cessé de diminuer dans le monde ».

Sur l’Iran

« Il est incontestable que l’Iran est gouverné par une théocratie obscurantiste, et que Mahmoud Ahmadinejad est un cinglé. Mais, sous ce couvercle-là, toute une génération de jeunes Iraniens bouillonne. La société civile est incroyablement dynamique et s’est paradoxalement modernisée plus vite sous les mollahs que sous le chah, non pas grâce à eux mais malgré eux. Pourquoi ne pas dire qu’il y a quatre fois plus de femmes à l’université que sous le chah ? »

Sur l’Afghanistan

« Nous pratiquons le « deux poids, deux mesures » : nous sommes bouleversés à juste titre par la mort de 10 soldats en Afghanistan, mais nous oublions que la même ­semaine, 90 civils, dont 60 femmes et enfants, sont morts sous les bombardements américains. Nous sommes révoltés, une fois encore à juste titre, devant les attentats du 11 Septembre qui ont fait 3 000 morts mais nous oublions que, dix ans auparavant, en décembre 1991, l’intervention américaine au Panama avait fait 3 000 morts civils, et que cela a fait trois lignes de bas de page dans nos journaux… ».