En finir avec le tout automobile

Le développement de l’automobile doit-il absolument se faire par extension de ses marchés et sans remettre en cause son objet-même ? C’est tout l’enjeu des nouveaux modèles low cost qui apparaissent sur le marché. 

Il y a deux ans, Renault et Nissan annonçaient leur intention de lancer, en Inde, une voiture à 100 000 roupies, soit environ 2000€. Il s’agissait de contrer l’initiative Tata, qui voit le jour aujourd’hui. Pas question de laisser à d’autres les marchés des pays émergents, à l’heure où nos marchés intérieurs doivent vivre péniblement du renouvellement de la flotte automobile. La conquête de ces nouveaux marchés est en route, avec des produits adaptés. Nous voici donc dans une nouvelle époque, celle de la voiture low cost. Elle démarre dans les pays émergents, en attendant de déferler sur le monde, riche ou pauvre.

Il y a de bons côtés : vitesse limitée et donc poids limité, pas de fioritures, rien que l’essentiel. Il y a donc des leçons à tirer du minimalisme de la Nano. Toutefois les économies sont aussi réalisées sur des équipements utiles, notamment sur le contrôle de la pollution émise par la voiture, ce qui est moins bien. Les conditions de fabrication dans une région où la population n’était pas d’accord pour voir s’ériger des usines, fait aussi problème.

Le point de vue de l’écologie

Allons au-delà de la voiture elle-même. Le mode de vie que la voiture propage est inquiétant. Le droit à la mobilité n’est pas synonyme de possession d’une voiture. L’usage de la voiture et sa propriété ne sont pas la même chose. Les sociétés traditionnelles ont vécu avec une mobilité réduite. Ce n’est pas une bonne chose en soi, et l’ouverture des contacts avec l’extérieur, avec le monde, est une source de richesses de tous ordres qu’il faut bien sûr rechercher. Mais il y a de nombreuses mobilités contraintes, obligées par l’organisation de l’espace. Les alternances domicile-travail notamment traduisent deux phénomènes, bon et mauvais : d’une part l’ouverture du marché de l’emploi, et la plus grande liberté donnée aux acteurs de choisir, et de l’autre la consommation de temps social, d’espace, de ressources, pour rendre possible la mobilité. Une organisation des villes qui augmente les possibilités de choix tout en réduisant les consommations constitue à l’évidence une bonne orientation, dans un monde fini, où il y a encore tant de besoins à satisfaire. 

La voiture individuelle n’a pas été, jusqu’à présent, l’alliée d’une gestion économe et efficiente de l’espace. Il est permis de penser que l’offre qui est faite aujourd’hui posera rapidement plus de problèmes qu’elle en résoudra. Extension, encombrement et pollution d’immenses conurbations, consommation accélérée et renchérissement des ressources d’énergie fossile, émission massive de gaz à effet de serre, paupérisation accentuée de tous ceux qui n’auront pas les moyens du low cost, et il en restera beaucoup. Est-ce là le modèle de développement que nous pouvons souhaiter ? L’offre de mobilité façonne les villes, et la voiture pour chacun, qui a été notre ligne de conduite jusqu’à maintenant, ne produit pas vraiment de cité, a fortiori de communauté. 

La voiture autrement

La voiture présente néanmoins d’immenses avantages, commodité, souplesse, personnalisation. Peut-on en bénéficier sans enclencher la chaîne des inconvénients ? C’est sur l’usage et le mode d’utilisation de la voiture qu’il faut se pencher. La location facile, à l’heure par exemple, ou la propriété partagée, répondent à cette attente. Des dispositifs qui se développent différemment selon les pays, leurs cultures, leurs modes de vie. La France n’est pas un exemple.

On pourrait penser à un mode d’utilisation de la voiture qui permette de choisir à chaque fois le système le plus ingénieux, du vélo pour faire une course près de chez soi au train + location de voiture pour un voyage d’affaires. La souplesse, l’adaptabilité, vertus cardinales du développement durable, ne font pas bon ménage avec le recours automatique et systématique à une même réponse, dictée par la possession d’un instrument, fût-il sophistiqué. Les ressorts psychologiques en faveur de la possession de l’instrument sont puissants, et seront bien exploités par les commerciaux de Tata et de ses concurrents. Est-ce durable ? Le retour vers des solutions partagées, plus économiques et plus raisonnables, sera bien difficile, comme il l’est chez nous. Il créera bien de frustrations. OK pour la Nano, mais la Nano taxi, la Nano de location, la Nano partagée, la Nano covoiturée.

Honda investit dans les capteurs solaires, Toyota dans les robots et l’habitat, voilà des évolutions qui semblent plus prometteuses que la recherche forcenée de nouveaux marchés pour le même produit, sans égard aux inévitables coûts sociaux et environnementaux. Il faut être très fort pour faire une voiture. Pourquoi ne pas profiter de ce talent et de ce savoir faire pour apprendre à répondre aux besoins de demain ?