En politique extérieure, plus de nuances que de divergences

En dépit d’une campagne parfois martiale, Mitt Romney, s’il était élu président des Etats-Unis, ne serait pas un autre George W. Bush. C’est un Républicain modéré et pragmatique. Les Américains ne veulent plus d’aventure extérieure, et comme Barack Obama, il accorderait peu d’importance à l’Europe. Nous reprenons ici le texte d’un article publié par Slate.fr le 5 novembre 2012.

 

L’Europe a été totalement absente de la campagne présidentielle américaine mais les Européens, eux, continuent de s’intéresser à ce scrutin. S’ils avaient le droit d’y participer, il ne fait aucun doute qu’à 7 ou 8 contre 1, ils voteraient pour Barack Obama. Par un élan de sympathie pour le président sortant, qui ne s’est guère démenti depuis 2008 même s’il a un peu diminué d’intensité, mais surtout par crainte que Mitt Romney ne soit une sorte de deuxième George W. Bush.

Cette crainte a été nourrie par les déclarations du candidat républicain au cours des primaires et dans les premiers temps de la campagne présidentielle. Mitt Romney a vivement critiqué la supposée « faiblesse » de Barack Obama, notamment après l’attentat de Benghazi qui a coûté la vie à l’ambassadeur américain en Libye, sa prudence dans le conflit syrien, ses tentatives d’accommodement avec Téhéran, en un mot sa vision d’une Amérique qui subit les événements plus qu’elle ne les façonne. Soutenues par la volonté d’augmenter le budget militaire (qui représente déjà le total des dépenses militaires des dix autres plus grandes puissances militaires de la planète), ces critiques laissaient penser que Mitt Romney était un va-t-en-guerre, prêt à tout pour imposer l’hégémonie américaine.

Le troisième débat entre les deux candidats, qui a porté sur la politique étrangère, a donné du républicain une tout autre image. Non seulement Mitt Romney a manifesté à plusieurs reprises son accord avec le président sortant mais il l’a même parfois dépassé « sur sa gauche ». C’est ainsi qu’il a insisté sur la nécessité de mieux utiliser le soft power américain (aide au développement, éducation, etc.) dans les pays qui se sont récemment débarrassés de dictatures, dans le monde arabe en particulier. Il a approuvé Obama d’avoir mis fin à la guerre en Irak et d’avoir décidé le départ des troupes américaines d’Afghanistan avant la fin de 2014. Sur la question cruciale du nucléaire iranien, les deux hommes se sont accordés pour vouloir mettre fin au programme en cours. Ce qui manifeste un durcissement de la position défendue jusqu’alors par Obama – non à la bombe mais oui au nucléaire civil —, et un assouplissement de la position de Romney qui n’évoque plus l’usage de la force que comme un dernier recours. Les deux se montreraient cependant solidaires d’Israël si Benjamin Netanyahou décidait de frapper les installations nucléaires iraniennes.

La question est donc de savoir quel est le vrai Mitt Romney ? Celui qui développe les thèses de certains de ses conseillers néoconservateurs rescapés des deux mandats de George W. Bush ? Ou le pragmatique qui se souvient d’avoir été un gouvernement modéré du Massachusetts ? 

Si la politique étrangère ne joue pratiquement aucun rôle dans la décision des électeurs, sauf dans ses conséquences sur leur vie quotidienne par le biais de l’économie, le candidat républicain à la Maison blanche a dû tenir compte de deux éléments contradictoires : d’une part, l’humeur de son parti qui a nettement dérivé vers la droite au cours des dernières années, et d’autre part, le rejet par la grande majorité des Américains de toute nouvelle aventure extérieure après le fiasco de la guerre en Irak et l’expédition calamiteuse en Afghanistan. Quand Obama déclare qu’il y a un pays à reconstruire (nation building)etque ce sont les Etats-Unis, il touche une corde sensible chez ses compatriotes.

Les personnes qui connaissent bien Mitt Romney affirment que le personnage pragmatique et modéré correspond à sa véritable nature. Pour juger sa politique extérieure, s’il sortait vainqueur du scrutin du 6 novembre, il faudra attendre de connaître la composition de son équipe, disent les mêmes. En tout état de cause, ses ambitions seront freinées par l’état des finances publiques. Et même s’il veut augmenter le budget du Pentagone, les Etats-Unis n’ont plus ni la volonté ni les moyens de ses lancer dans des expéditions terrestres, sauf si leurs intérêts vitaux sont directement menacés. Le soutien à des coalitions, des cyber-attaques et l’usage de drones sont les développements les plus significatifs de ces dernières années. Et l’héritage du premier mandat de Barack Obama.

Si différences il devait y avoir entre la politique extérieure d’un président Romney et celle d’Obama, elles porteraient plutôt sur la manière que sur la substance. Les intérêts permanents des Etats-Unis ne changeront pas avec un éventuel transfert de pouvoir. En revanche, Mitt Romney et les Républicains même les plus « réalistes » ne signeraient pas la déclaration d’Hillary Clinton : « Nous ne sommes pas moins puissants mais nous devons exercer notre puissance par des voies diverses », a dit la secrétaire d’Etat. Après les deux mandats de George W. Bush, Barack Obama est revenu à une pratique plus multilatéraliste de la diplomatie. Il s’est appuyé sur les alliés traditionnels de Washington et en a cherché de nouveau. Il a théorisé une politique étrangère dans un monde post-américain où l’Amérique reste « la nation indispensable » tout en étant devenu un « sheriff à contrecœur ».

 Un président Romney aurait sans doute plus de mal à reconnaître cette réalité mais il est hautement probable qu’il devrait, bon gré mal gré, en tenir compte.