En obtenant des autorités égyptiennes le droit de rencontrer l’ancien président Morsi, gardé au secret depuis que l’armée l’a écarté du pouvoir, Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, a réussi un joli coup politique. On a suffisamment critiqué, depuis sa nomination il y a près de quatre ans à la tête de la diplomatie européenne, la passivité de celle qu’on a surnommé « la femme invisible » pour ne pas mettre à son crédit ce geste symbolique. Certes il ne suffira pas à débloquer la situation en Egypte ni à assurer le succès d’une médiation européenne dans un pays menacé par la guerre civile, mais au moins l’Union européenne, par l’entremise de Mme Ashton, fait-elle acte de présence sur la scène proche orientale après une trop longue période d’immobilisme.
Surprise par l’émergence des « printemps arabes », la diplomatie européenne s’est en effet tenue en retrait au lendemain des révoltes populaires qui ont balayé les dictateurs arabes, regardant passer les événements sans être capable d’avoir sur eux la moindre prise. Elle s’est contentée le plus souvent de communiqués et de déclarations sans effet. Face à l’évolution de la crise égyptienne, elle a appelé récemment les principaux acteurs à faire preuve de retenue et à revenir au processus démocratique, sans condamner le coup d’Etat qui a chassé Morsi de la présidence. Symboliquement, elle fait savoir aujourd’hui, par l’initiative de Mme Ashton, qu’elle entend être partie prenante à la recherche d’une solution.
En aura-t-elle les moyens ? Ce n’est pas sûr, mais il est déjà remarquable qu’elle en exprime la volonté. C’est peut-être un changement dans l’attitude de Mme Ashton, qui semblait se résigner précédemment au constat de son impuissance. Son intervention dans la crise égyptienne fait suite à son action, pour une fois efficace, dans le conflit des Balkans où elle a fortement contribué, il y a quelques semaines, à la conclusion d’un accord entre le Kosovo et la Serbie. Tout se passe comme si elle avait enfin décidé, à dix-huit moins de la fin de son mandat, de faire taire les critiques sur son manque d’engagement.
Au même moment, la haute représentante publie un premier bilan de son activité dans lequel, répondant à ses détracteurs, elle présente le travail accompli, en analyse les insuffisances et formule une série de recommandations. « Enfin un signe de leadership de la part de Mme Ashton », souligne Jan Techau, spécialiste des questions stratégiques pour la fondation Carnegie (lire son article sur notre site ou sur celui de Carnegie Europe), en commentant ce document, qu’il juge, à juste titre, « intelligent, réaliste et ambitieux ». Dans son rapport. Mme Ashton se dit « fière » de ce qui a été fait, en dépit des lenteurs et des difficultés, en particulier dans la mise en place du Service européen d’action extérieure (SEAE) créé par le traité de Lisbonne.
Son ambition, dit-elle, est de faire de ce service le « catalyseur » des diplomaties nationales. Réaliste, elle rappelle que le SEAE ne doit pas être considéré comme un ministère européen des affaires étrangères : il ne s’agit pas pour l’UE de se substituer aux Etats membres mais de coopérer avec eux. Lucide, elle pointe les deux faiblesses du nouvel organisme : ses conflits de compétence avec la Commission européenne et ses relations de concurrence avec les diplomaties nationales. Ses recommandations sont raisonnables. Elles portent, pour l’essentiel, sur les moyens d’assurer une plus grande cohérence de la politique étrangère de l’Union européenne et de renforcer les capacités du SEAE.
L’exercice auquel se livre Mme Ashton en appliquant à sa gestion une sorte de droit d’inventaire ne vise pas seulement à recenser les erreurs et des défaillances passées. Il a aussi pour objectif de relancer l’action extérieure de l’Europe après les tâtonnements des premières années. Est-ce encore possible ? Sans doute, à condition que tous les partenaires en soient convaincus, ce qui est loin d’être acquis. Si Mme Ashton s’exonère un peu rapidement de toute responsabilité personnelle dans les dysfonctionnements du Service européen d’action extérieure, elle n’a pas tort d’en appeler à une meilleure coordination entre les institutions européennes comme entre celles-ci et les Etats membres. Elle a compris qu’il était temps d’agir pour sauver l’idée même d’une politique étrangère commune. Elle lance un cri d’alarme. Mieux vaut tard que jamais. Encore un effort, Mme Ashton !