Enrichissement et liberté sans démocratie.

Alexandre Loukachenko a été réélu pour la quatrième fois président de la Biélorussie, le 19 décembre avec plus de 70% des voix. A la veille du scrutin, Andrey Dynko, rédacteur en chef du journal Notre Niva, qui est revenu à la légalité sous la pression de l’UE en 2008, examinait la situation dans son pays. Durant les élections de 2006, il avait été arrêté. Lauréat des prix Oxfam-Novib, Lorenzo Natali, de même que du prix de « Bravoure journalistique et professionnalisme » de la Première chaîne russe. il a reçu de Vaclav Havel le prix Ellenbogen. L’ancien président tchèque a qualifié Notre Niva d’ « îlot de l’indépendance ». Notre Niva est lauréat du prix germano-norvégien Gert Bucerius / « Fritt ord ».

Les cinémas de Minsk font salle comble avec la projection de « Massacre ». Chose inimaginable auparavant : un film d’horreur biélorusse ! Plus encore, son action se déroule lors de l’un des soulèvements anti-russes du XIXe siècle. Le film précédent du réalisateur, Koudinenko, avait été interdit en Biélorussie. Cette fois, Koudinenko a été invité par la maison de production de Loukachenko et a reçu deux millions de dollars pour le tournage.

La Biélorussie a beaucoup changé en 15 ans. Malgré la dictature, ou, selon certains, grâce à celle-ci. L’économie s’est développée deux fois plus rapidement que dans l’Ukraine voisine. C’est un modèle chinois, ou plutôt, singapourien. Loukachenko est persuadé que celui-ci correspond le mieux à la mentalité des Biélorusses. Mais tout le monde n’est pas d’accord avec lui. Une société parallèle s’est développée sous la dictature. La musique rock, les écrits dissidents, les clubs de discussion fleurissent.

Pour monter sur le train en marche, Loukachenko est prêt à s’approprier le slogan de l’opposition, considéré il n’y a pas si longtemps comme séditieux : « Pour la liberté ». « Le principe suivant lequel est permis tout ce qui n’est pas expressément interdit sera introduit dans le pays », écrit-il dans son programme, publié dans tous les journaux gouvernementaux.

« Devenir plus riche »

En route pour son quatrième mandat, Loukachenko promet une économie de première classe et le rapprochement avec les standards européens. Good bye, l’URSS ! Terminés les rêves de « renaissance du grand pays ». Le programme de Loukachenko met en équation des problèmes populistes, mais réalistes. « La Biélorussie doit rejoindre les 50 premiers pays du monde avec le plus haut potentiel de développement humain », écrit Loukachenko. « Renforcer la nation » et « Devenir plus riche » sont les deux premiers paragraphes de la section « Nos principaux objectifs ». Encore que le renforcement de la nation se limite à vouloir favoriser la croissance démographique. Pour ce qui est de l’enrichissement, c’est pour de vrai.

« La propriété privée sera développée », assure Loukachenko. Le même Loukachenko qui, il y a dix ans, qualifiait les entrepreneurs de « pouilleux » et le régime du pays de « socialisme de marché ».

« Par la simplification de la conduite des activités, la Biélorussie est arrivée au rang de quatrième meilleur réformateur du monde », annonce désormais Loukachenko avec fierté. Sur certains aspects, le programme de Loukachenko est assez concret, contrairement à la batterie des slogans stéréotypés, scandés par les candidats de l’opposition aux élections. Loukachenko 4.0 promet la création d’un gouvernement électronique et une reforme judiciaire.

La Nouvelle Politique Economique selon Loukachenko

Loukachenko 1.0 croyait conquérir le trône russe. Loukachenko 2.0 aspirait à tout prix à saborder la révolution de couleur. Loukachenko 3.0 voulait atteindre le top 30 du monde en « business friendly ». On s’attend à ce qu’avant les élections soit signé le retentissant Décret sur la libéralisation économique, suivant lequel il sera interdit de mettre sous arrêt pour des délits économiques avant le jugement.

Loukachenko, populiste né, ne peut pas ne pas suivre l’opinion publique. Si en 1995, 70% de la population souhaitait le rétablissement de l’URSS, ils sont aujourd’hui de moins de 10%. Trois fois moins qu’en Ukraine. La raison ? Jamais les Biélorusses n’ont aussi bien vécu que dans la Biélorussie indépendante. Les reformes de marché des années 90 ont porté leurs fruits. « Nous continuerons l’édification d’une Biélorussie indépendante et singulière. Nous ne choisissons pas entre l’Est et l’Ouest et ne souhaitons être le stellite de quiconque » affirme le programme. En échange, contre la liberté économique et la protection de l’indépendance, Loukachenko n’exige qu’une chose : ne touchez pas à mon pouvoir.

Violations du droit électoral

« Jamais il n’y a eu dans notre pays de situation où le parlement et le président soient élus de manière non-démocratique, a assuré à brûle-pourpoint Loukachenko aux ministres des affaires étrangères de la Pologne et de l’Allemagne – J’avais déjà dit honnêtement : fermez les yeux sur toutes les fraudes de la part de l’opposition », a-t-il ajouté.

Et en vérité, ces élections vaudront bien les précédentes. Les opposants comptent pour 0,25% dans les commissions électorales. Aucune modification n’a eu lieu non plus dans les mass medias. Les candidats de l’opposition seront présentés à l’écran comme des têtes brûlées, exactement autant de fois que l’exige le code électoral libéralisé, mais pas une fois de plus. « L’opposition est nécessaire car souhaitée par l’Ouest », déclare directement Loukachenko à son auditoire domestique. « Gardez-vous d’entreprendre quoi que ce soit », concluent pour eux les fonctionnaires. Même si l’on soustrait un de ses éléments à cette construction en béton armé de la dictature idéale, le résultat sera le même. Le Biélorusse de base se rappelle que la Nouvelle Politique Economique soviétique avait été remplacée par des répressions.

Comment percer le béton

« Avec sa propre tête ! », disait Pilsoudsky, le général-président de la Pologne d’entre les deux guerres.

Mais il n’existe pas de plan quant à l’endroit où frapper. C’est pourquoi l’opposition se présente aux élections morcelée et frappe comme des petits pois contre un mur. Il y avait un homme, capable d’unir l’opposition, un ferme opposant de Loukachenko – l’entrepreneur Nikolai Avtoukhovich. Vétéran de la guerre d’Afghanistan, il avait déclaré la guerre aux autorités fiscales et à la milice corrompues dans son village frontalier de la Pologne. Il était préparé aux actions de force. Il a été emprisonné un an avant les élections.

Le leader de longue date de l’opposition biélorusse, Alexandr Milinkevich, a refusé de se porter candidat. « Je ne veux pas prendre part à un spectacle, où tout est déterminé par un seul réalisateur ». Cependant, le boycott est considéré comme stérile. C’est pourquoi le camp libéral-conservateur a avancé des candidats, bien qu’ils soient peu connus. Le conservateur Gregoire Kostusev, le démocrate chrétien Vitali Rimachevsky et le libéral Yaroslav Romanchuk – pas un seul n’a même été dirigeant de son parti.

Dis la vérité

Cependant une troisième force est apparue. Il s’agit de la campagne « Dis la vérité ». Elle dispose de moyens jamais vus en Biélorussie. « Dis la vérité, d’où vient l’argent ? », plaisante-t-on dans l’opposition. Loukachenko explique : « Vladimir Neklyaev, Andrei Sannikov, ce sont des gens financés aujourd’hui par la Russie ». A la tête de la campagne « Dis la vérité » se trouve un homme qui, de prime abord, aurait semblé avoir le moins de chances de réussir au Kremlin. Vladimir Neklyaev, auparavant présentateur à la télévision, est un poète de langue biélorusse et l’auteur d’un roman érotique. Le projet de Neklyaev est l’amélioration des relations avec la Russie. Dans le programme de Loukachenko, la Russie n’est pas mentionnée une seule fois.

Le conflit avec la Russie se monnaie

« La Russie et l’Ouest ont échangé leur place à ces élections », dit Vitaly Silitsky, directeur de l’institut biélorusse des recherches stratégiques. Cet important think tank biélorusse, malgré le dégel, fonctionne comme auparavant entre la Lituanie et l’Ukraine, principalement grâce aux fonds américains. En même temps, ses collaborateurs vivent librement en Biélorussie. Ce sont les règles du jeu permises par l’autoritarisme biélorusse. Le signal fort de l’Ouest a été donné par la présidente de la Lituanie, Dalia Gribauskaite. « Loukachenko est le garant de la stabilité économique et politique et de l’indépendance du pays », aurait-elle déclaré lors d’une réunion fermée avec les ambassadeurs des pays de l’Union Européenne. La déclaration de Dalia Gribauskaite, a fait monter le ton sur les sites de l’opposition en Biélorussie : « Prostitution politique de l’Europe ! » bouillonnaient les commentateurs de « Khartia-07 ».

Les dirigeants de la société civile craignent également la trahison de l’Ouest. Ils craignent de rester en tête-à-tête avec l’autoritarisme – oubliés, réduits au silence. Moscou disait auparavant de Loukachenko : fils de pute, mais notre fils de pute. Désormais les diplomates polonais et lithuaniens à Minsk interrogent sans interruption les experts locaux : Loukachenko serait-il prêt à fonctionner dans des conditions de démocratie dirigée ? Est-il prêt à garder le pouvoir et se plier simultanément aux convenances ? « La reconnaissance ou la non-reconnaissance des élections doivent être déterminés non pas par des calculs, mais exclusivement par les élections elles-mêmes », dit le politologue Silitsky.

Le hardware aussi

« Nous sommes des élèves assidus, nous sommes prêts a apprendre de vous, les Européens, tout ce qui répond aux intérêts du peuple biélorusse, - répète Loukachenko. – Mais si vous nous imposez des conditions, cette politique ne trouvera jamais de compréhension chez nous. »

Dans ce cas, Minsk pourrait à nouveau tourner le dos à l’Europe, et regarder vers la Russie.

Contrairement à Ianoukovitch, Loukachenko a signé l’Union douanière avec la Russie et le Kazakhstan. Il s’agit maintenant de signer un accord sur l’Espace économique unique (EEU).

L’EEU et l’Union douanière sont les enfants chéris de Poutine. A l’aide de ces institutions, il espère relier solidement les économies biélorusse et casaque à la Russie. Il suppose que de cette manière sera créé avec le temps le « monde russe », alternatif à l’Union Européenne.

L’adhésion de la Biélorussie à l’EEU a été précédée par une pression ayant pour objectif d’obliger Loukachenko à signer des accords sur l’Union douanière défavorables à son pays. Au début, la Biélorussie avait refusé de le faire, mais après la présentation sur NTV du premier des films « Le Parrain », Loukachenko a apposé sa signature. Moscou avait poussé les négociations sur l’EEU en automne. Elle misait sur le fait qu’avant les élections, Loukachenko serait enclin aux concessions.

Officiellement, Minsk n’a jamais envisagé la possibilité de renoncer à la construction de l’espace économique unique avec la Russie en faveur de l’intégration européenne.

Le software change, mais le hardware aussi.

Loukachenko craint la Russie

Auparavant, nombreux étaient ceux qui l’appréhendaient comme un dictateur irrationnel, un Caligula avec un bâton de hockey. Loukachenko a démontré qu’il était capable de changer.

Il y a dix ans, la Biélorussie était le plus prorusse et l’un des moins démocratiques des pays de l’ex-URSS. Aujourd’hui ce n’est plus le cas.

C’est pourquoi le cliché, suivant lequel aucune politique de l’Ouest en Biélorussie, ni la politique de l’isolation, ni la politique de l’engagement, n’avait eu de succès, est faux.

Au contraire, l’Ouest a manifesté fermeté et souplesse en bonne mesure et en temps opportun.

Si le pétrole et le gaz s’écoulent en contournant la Biélorussie à travers le « Nord Stream » et le gazoduc BTS-2, ce qui se produira dès 2012, l’évolution économique conduira Loukachenko plus loin à l’Ouest.

Tant que le progrès politique sera impossible, le meilleur soutien de l’indépendance de la Biélorussie sera la coopération économique, le soutien de la culture biélorusse, de la société civile et l’ouverture des frontières pour les citoyens de la Biélorussie.

L’Union Européenne, en partenariat avec l’opposition biélorusse, détiennent aujourd’hui les outils pour faire mieux que jamais. Parce que Loukachenko a peur de la Russie – et de Poutine, et de Medvedev.

Premier dictateur d’Europe

Dans son programme, Loukachenko parle de la libéralisation de l’initiative d’affaires : « Tout ce qui ne sera pas expressément interdit sera autorisé ». Cependant le programme ne comporte pas un seul mot sur l’identité nationale et la langue biélorusse. De même qu’il ne mentionne ni la démocratie, ni la séparation des pouvoirs.

Il veut que l’Ouest l’accepte tel qu’il est.

Candoleezza Rice l’avait traité à l’époque de « dernier dictateur de l’Europe ». Il souhaite devenir le premier dictateur de l’Europe, accepté silencieusement. Il est prêt à être client de l’Ouest, à condition qu’on ne lui en demande pas trop.