Entre cobelligérance et refus d’agir

La grande question qui se pose aux alliés de l’Ukraine est de savoir comment venir à son secours sans s’engager dans une confrontation directe avec Moscou. D’un côté, les Américains et les Européens affirment bruyamment leur solidarité avec les Ukrainiens agressés par les Russes et leur volonté de les aider par tous les moyens possibles. De l’autre, ils ne veulent pas être entraînés dans un conflit armé avec la Russie en se voyant attribuer un statut de cobelligérant, au risque de déclencher, comme l’a dit le président américain Joe Biden, la troisième guerre mondiale.
La voie est étroite pour les dirigeants occidentaux entre entrée en guerre et refus d’agir. Ils ont réagi avec force à l’agression russe en annonçant des sanctions sévères contre Moscou et en accroissant leurs livraisons d’armes aux Ukrainiens. Peuvent-ils aller plus loin dans leur engagement auprès de Kiev tout en restant sous le seuil de la cobelligérance ?

« J’ai besoin de protéger notre ciel »

Ce que demandent en priorité les dirigeants ukrainiens, c’est qu’on leur donne les moyens de lutter contre les bombardements aériens. « J’ai besoin de protéger notre ciel », a expliqué le président ukrainien dans son allocution devant le Congrès américain. Habilement, Volodymyr Zelensky a comparé la situation de son pays à celle des Etats-Unis dans deux grandes crises qui ont été à l’origine de traumatismes durables dans le peuple américain : l’attaque de Pearl Harbor en 1941 et les attentats du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers et le Pentagone.
Dans les deux cas, l’assaut est venu du ciel. Ce sont des avions ennemis – japonais dans le premier, terroristes dans le second – qui ont causé la désolation et la mort en échappant aux défenses du pays. Bien sûr, les circonstances étaient différentes, Volodymyr Zelensky le sait bien, et sa comparaison n’est pas entièrement convaincante, mais il est bien vrai que la question posée aujourd’hui à l’Ukraine, comme elle le fut hier aux Etats-Unis, est la faiblesse de la couverture aérienne.
Le président ukrainien est conscient de cette fragilité. Aussi a-t-il formulé deux demandes, notamment à l’intention des Etats-Unis. L’une porte sur l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne (« no fly zone »), qui interdirait aux avions russes de survoler le territoire ukrainien. L’autre a pour objet l’éventuelle livraison d’avions de combat à l’armée ukrainienne, fournis par la Pologne mais stationnés sur une base américaine en Allemagne.

« Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie »

Ces deux mesures donneraient à Kiev un sérieux coup de main en menaçant d’abattre les avions russes qui se risqueraient à pénétrer dans l’espace aérien ukrainien. Mais elles auraient pour conséquence, en cas d’affrontement dans le ciel ukrainien, de mettre aux prises, directement ou indirectement, Russes et Américains. C’est ce dont ceux-ci ne veulent à aucun prix pour éviter d’être considérés comme des cobelligérants. Ces demandes ont donc été rejetées par le président Biden, qui a répété à plusieurs reprises qu’il n’accepterait pas d’exposer son pays à une escalade militaire. « Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie », a souligné Emmanuel Macron.
Dans ces conditions, jusqu’où les pays de l’OTAN peuvent-ils aller dans leur assistance militaire à l’Ukraine ? « « Comment aider la Russie à perdre sans lui donner le prétexte d’une escalade ? Comment gagner la guerre sans la faire ? », se demandent, dans Le Monde du 16 mars, deux spécialistes des questions militaires, Julian Fernandez et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. C’est toute la difficulté de l’exercice, qui se situe, selon les deux auteurs, « dans cette zone grise entre la guerre et la paix, entre la belligérance et l’indifférence ».
Peut-on trouver un équilibre qui permette de « maximiser » le soutien des Occidentaux à l’Ukraine sans aller jusqu’à la guerre contre la Russie ? Oui, répondent les deux chercheurs, qui examinent les moyens d’aider la résistance ukrainienne. S’il n’est pas souhaitable, disent-ils, de créer une zone d’exclusion aérienne ni de livrer à l’armée de Kiev des avions de combat, on peut envisager d’autres actions. L’une d’elles consisterait à intensifier les livraisons d’armes antiaériennes, en complétant les lance-missiles portatifs Stinger, qui ne peuvent atteindre que des cibles à basse altitude, par des missiles sol-air à moyenne et longue portée. Cela devrait s’accompagner d’une action de formation auprès des civils chargés d’utiliser ces armes.

La bataille de l’information

Autre grand domaine, la bataille de l’information. Bataille du renseignement et du cyberespace d’abord afin d’aider les Ukrainiens à résister à leurs envahisseurs. Bataille de la propagande pour renforcer les moyens de lutter contre la désinformation et de contourner la censure russe. La « guerre informationnelle », écrivent les deux auteurs, doit être menée pour « fragiliser autant que possible le soutien « arrière » du régime » en visant la population russe.
A mesure que s’accentue l’offensive russe et que s’accroissent les massacres de populations civiles, la pression se renforce sur les Occidentaux pour qu’ils agissent plus efficacement. Les Ukrainiens leur lancent des appels de détresse. Joe Biden a compris le message. Il vient d’annoncer une nouvelle assistance militaire et en particulier l’envoi de nouveaux missiles sol-air. De son côté, l’Union européenne a promis de doubler son aide. Les Occidentaux ne doivent pas relâcher leurs efforts. Les livraisons d’armes, jointes à l’accentuation des sanctions économiques, font partie de la panoplie défensive que les Occidentaux doivent continuer d’offrir aux Ukrainiens, tout en laissant ouverte la voie de la diplomatie.
Thomas Ferenczi