Souvent présenté comme « le texte le plus important de l’OTAN après le traité lui-même », le « nouveau concept stratégique » résultait des travaux d’un groupe de sages présidé par Madeleine Albright puis repris par le secrétaire général de l’OTAN, d’après un mandat donné par les chefs d’Etat lors du dernier sommet de Strasbourg-Kehl en avril 2009. Mais l’adoption du concept stratégique a finalement été très peu été commentée. Les discussions se sont davantage concentrées sur l’Afghanistan et sur la mise en place d’un bouclier anti-missile, dans des conditions telles qu’elles ajoutent plus à la confusion et au renoncement qu’elles ne signent de réelles avancées sur ces sujets.
Afghanistan : la confusion
A Lisbonne, les pays de l’OTAN ont acté, comme prévu, le lancement dès le premier semestre 2011 d’un « processus de transition » vers les autorités afghanes, avec pour horizon un transfert des responsabilités de sécurité à ces autorités avant la fin 2014 (c’est-à-dire en réalité 2015, et nombreux sont ceux qui pensent que cela ne pourra pas être le cas avant 2016).
De ces déclarations a découlé un malentendu majeur. Une partie des commentateurs ont titré sur le retrait des troupes d’Afghanistan d’ici 2014. Mais transfert de la responsabilité de sécurité ne signifie pas retrait, loin de là ! Au mieux, il s’agit de la fin des missions de combat des troupes présentes (ou du « rôle de combat » pour reprendre les termes du secrétaire général de l’OTAN), pour se concentrer davantage sur les missions de reconstruction ou de formation.
On pourrait avec un peu de malice rapprocher cette annonce de celle faite par George W. Bush sur le porte-avion USS Lincoln annonçant la « fin des opérations majeures de combat » en Irak en … mai 2003. Ou plus récemment de la déclaration de Barack Obama en septembre dernier annonçant le transfert définitif de la sécurité irakienne aux forces gouvernementales, sans pour autant pouvoir préciser à quelle échéance les américains pourront se retirer de ce pays. A tel point que le vice-président Jo Biden est contraint aujourd’hui de publier une tribune dans le New York Times soulignant que « les Etats-Unis doivent continuer à prendre leur part dans le renforcement des progrès irakiens – c’est pourquoi nous ne nous désengageons pas d’Irak ».
En Irak comme en Afghanistan, on aura beau proclamer que les missions de combat sont terminées et que l’engagement consiste désormais à soutenir les autorités locales pour qu’elles prennent en charge leur propre sécurité, tant que les structures étatiques ne sont pas stabilisées ces missions resteront sans fin prévisible et nécessiteront encore et toujours un engagement armé, même sans le claironner. L’engagement risque d’autant plus de se prolonger que dans le contexte actuel, on voit mal émerger d’ici trois ans un Etat afghan doté de structures suffisantes pour assurer sa propre sécurité et s’appuyant sur une nation réconciliée. La position du président afghan Hamid Karzaï, particulièrement ambiguë, n’incite pas à l’optimisme : inquiet pour son propre avenir, il a réclamé à Lisbonne un engagement que l’OTAN reste en Afghanistan sans date limite. Et il a obtenu gain de cause : fortement appuyé par la France qui dans toutes les négociations avait insisté pour que le lancement du processus
de transition ne soit pas assimilé au retrait des forces et qu’aucune date de départ définitif ne soit mentionnée, il a obtenu de signer un accord avec le secrétaire général de l’OTAN prévoyant « le maintien d’une présence à long terme en Afghanistan après 2014 ». Sans plus de précisions sur quelle présence, pour quoi ni jusqu’à quand… Outre le fait que l’on puisse s’interroger sur un tel chèque en blanc et sur le fort soutien français à cette initiative, cela risque de ne pas faciliter le dialogue et d’obérer encore un peu plus les difficiles perspectives de réconciliation, les adversaires de Karzaï ayant fait de la fixation d’une date de retrait l’une des conditions de leur implication dans ce processus.
Bref, autant dire que le nation building afghan n’est pas prêt d’advenir, et que les troupes occidentales ne sont pas prêtes de pouvoir quitter un Afghanistan stabilisé.
Ce sentiment de désordre, de confusion et d’absence de stratégie crédible s’est d’ailleurs retrouvé dans les déclarations désunies des participants : l’ambassadeur américain auprès de l’OTAN Ivo Daalder a ainsi annoncé à la presse que les Etats-Unis ne s’étaient en fait pas vraiment engagés à mettre fin à leur mission de combat après 2014 ; le secrétaire général de l’OTAN a confirmé et nuancé sa première déclaration en ajoutant que cette date de 2014 était sous « condition bien sûr que la situation en matière de sécurité nous permette d’avancer dans un rôle qui serait davantage un rôle de soutien » ; les Canadiens et les Néerlandais ont rappelé que, pour leur part, ils partaient dès la fin 2010 ; le secrétaire d’Etat britannique William Hague a de son côté annoncé qu’il mettra fin unilatéralement à ces missions d’ici 2015 si besoin est ; etc.
Ce sommet n’a donc rien clarifié et les alliés restent incapables de définir une stratégie de sortie, ou même simplement d’être cohérents dans leurs déclarations. Les Etats-Unis restent les maîtres du jeu et continuent à établir leur propre calendrier et des morceaux de stratégie seuls en fonction de leurs contraintes politiques internes. Les Européens pour leur part sont absents, désunis, et n’ont de prise sur rien, à l’image de la France qui fait semblant de croire que son retour dans le commandement intégré de l’OTAN lui permet de peser et l’oblige à tenir des discours ronflants, mais qui n’a pas plus de poids ni de capacité de négociation que les autres… Et c’est ainsi que l’engagement se prolonge sans cesse et que les discours sur une « nouvelle stratégie en Afghanistan » se succèdent sans effet, et peut-être encore pour longtemps.
Le bouclier anti-missile : le renoncement
Le second sujet d’inquiétude découlant du sommet de Lisbonne concerne le principe de l’installation d’une défense anti-missile en Europe. Les Américains, qui y étaient particulièrement attachés, voyaient en ce système la contrepartie de l’abandon du « troisième site européen » imaginé par l’administration précédente (comportant des intercepteurs fixes en Pologne et un radar de longue portée en République tchèque) ; projet très contesté qui avait provoqué une crise avec la Russie à la fin de l’ère Bush. Le nouveau système a été adopté à Lisbonne et les discussions avec la Russie se sont bien déroulées : non seulement Dmitri Medvedev n’a pas surenchéri quant au risque que présenterait un tel système pour la Russie, mais il s’est au contraire montré intéressé par les coopérations proposées. Au passage, on peut noter que les déclarations de Nicolas Sarkozy visant particulièrement l’Iran n’étaient pas strictement nécessaires pour rassurer la Russie… Celles-ci relèvent davantage d’une idéologie de fermeté que suit la politique française depuis trois ans et sur laquelle on peut légitimement s’interroger faute de résultats. La France semble bel et bien avoir pris le relai des néoconservateurs depuis que Barack Obama s’est engagé dans une politique de dialogue.
L’accord sur ce système anti-missile est donc à bien des égards un succès américain, mais il devrait soulever sous sa forme actuelle des motifs de préoccupation plus que sérieux auprès des Européens. Dans son mode de fonctionnement prévisible, il représente en effet un triple risque de contrôle politique des Etats-Unis sur les alliés ; de marginalisation des industries de défense européenne ; et de captage de crédits au détriment des projets visant à construire l’Europe de la défense.
Les Américains, qui sont les architectes de ce système, en seront en effet demain les donneurs d’ordres uniques. Et malgré les affirmations françaises selon lesquelles le processus décisionnel doit associer étroitement les Européens, on imagine mal que, pour un système qui sera interconnecté au système de défense présent sur le territoire des Etats-Unis et qui sera sous commandement unique américain, la décision puisse être réellement partagée. Elle le sera d’autant moins que les Européens n’envisagent pour l’instant que de participer à la seule « couche basse » du système, la « couche haute » restant purement américaine. La défense du territoire européen restera sous maîtrise des Etats-Unis. Ce qui n’empêchera pas ces derniers de demander aux alliés, sous une forme encore non dévoilée à ce jour, de participer financièrement au déploiement de leurs systèmes en Europe.
Le risque de contrôle politique est donc réel. Le risque de dérapage budgétaire aussi. Nombreux sont les experts qui estiment que le coût annoncé est mal défini et probablement largement sous-évalué. Les premiers crédits à en pâtir pourraient bien être ceux initialement destinés aux coopérations européennes de défense, rendant encore un peu plus improbable le renforcement de l’Europe de la défense.
Et les déclarations de Nicolas Sarkozy à Lisbonne affirmant que le dispositif anti-missile ne va pas alourdir les budgets de défense européens puisque les Etats-Unis « proposent de fournir l’ensemble des systèmes satellites, radars, intercepteurs et de placer le tout sous commandement allié » ne rassurent pas vraiment sur le rôle de nos industries : comme cela était prévisible, celles-ci ne pourront pas apporter des briques complètes à l’édifice mais devront se contenter de servir de financeurs et de sous-traitants des entreprises américaines, entrainant une « filialisation » de nos industries et, à terme, leur marginalisation inévitable sur ces secteurs.
Pour toutes ces raisons, on ne peut que s’étonner que ce sommet soit présenté comme un succès. C’est plutôt de recul et de renoncement dont il faudrait