Erdogan l’hyperprésident

La vague des nationalismes autoritaires, qui s’est traduite en 2018 par le succès électoral de partis populistes dans plusieurs pays d’Europe, vient d’être confirmée, voire amplifiée, en Turquie par la victoire de Recep Tayyip Erdogan et de son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développement), à l’issue de l’élection présidentielle et des élections législatives organisées simultanément dimanche 24 juin. Après la réélection de Vladimir Poutine en Russie en mars puis celle de Viktor Orban en Hongrie en avril, la reconduction du président turc est un nouveau motif de satisfaction pour les partisans de la démocratie « illibérale » théorisée par le premier ministre hongrois et combattue en Europe par les défenseurs de l’Etat de droit.

Avec 52,5% des suffrages, Recep Tayyip Erdogan l’emporte dès le premier tour sur son principal adversaire, Muharrem Ince, candidat du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), qui n’obtient que 30,7% des voix. C’est une déception pour cet ancien professeur de physique-chimie, qui avait mené une bonne campagne, dynamique et combative, et qui pouvait au moins espérer, à en croire les sondages, mettre en ballottage le président sortant. Il n’en a rien été. Recep Tayyip Erdogan, assuré du contrôle de la plus grande partie des médias et du concours des services de l’Etat dans un scrutin que l’opposition considère comme entaché de fraude, consolide son pouvoir, tandis que son parti, avec son allié, le Parti de l’action nationaliste, conserve sa majorité au Parlement.

Premier ministre de 2003 à 2014 avant d’être élu cette année-là président de la République, le dirigeant turc est aux commandes de son pays depuis quinze ans. Mais il va bénéficier désormais, en vertu de la nouvelle constitution approuvée par référendum en 2017, de prérogatives accrues qui vont faire de lui un « hyperprésident ». Il n’a pas attendu cette consécration pour céder à la dérive autoritaire d’un régime dont il est devenu, au fil des années, le maître absolu. Depuis le coup d’Etat manqué de juillet 2016, il a renforcé son emprise sur le pays, en organisant une vaste purge contre tous ceux – journalistes, avocats, enseignants, syndicalistes, magistrats - qu’il considère comme des opposants. Des milliers de fonctionnaires ont été radiés, les Universités reprises en mains, les journaux mis sous le boisseau.

L’opinion publique, dans sa majorité, lui a conservé sa confiance malgré son comportement d’autocrate et les difficultés économiques que commence à connaître le pays, en dépit de son bon taux de croissance (7,4%). « La Turquie a besoin de sang neuf », avait affirmé son principal concurrent, Muharrem Ince, au cours de la campagne. Les électeurs en ont jugé autrement, même si les conditions d’une campagne démocratique n’étaient pas pleinement réunies. Recep Tayyip Erdogan a donc gagné son pari. En avançant de dix-huit mois les élections, il a voulu profiter de la ferveur nationaliste suscitée dans une partie de la population par l’intervention turque en Syrie. En même temps, il a devancé la dégradation annoncée de l’économie. Réélu, il concentrera entre ses mains jusqu’en 2028 l’ensemble des pouvoirs.

Que va-t-il en faire ? Il va évidemment continuer son combat contre les Kurdes, à l’intérieur comme en dehors de la Turquie. Il va également s’employer à renforcer son alliance avec Vladimir Poutine, lequel vient de saluer, après sa victoire, sa « grande autorité politique ». Le voici plus que jamais au nombre des hommes forts qui jouent un rôle important sur la scène internationale. Sur le plan intérieur, il n’entend pas cesser la lutte contre la confrérie Gülen, du nom de l’imam turc Fethullah Gülen, qu’il rend responsable du coup d’Etat manqué de juillet 2016 et qui appelle, selon lui, la poursuite d’une répression sévère. Il est donc peu probable que les atteintes répétées à la démocratie prennent fin. Mais il se peut aussi que l’opposition, revigorée par une campagne dont elle espérait des résultats meilleurs, se mobilise pour organiser la bataille contre l’omniprésidence de l’apprenti dictateur.