Si la plupart des dirigeants occidentaux se sont félicités de l’échec de la tentative de putsch militaire en Turquie, ils se gardent bien de le porter au crédit de Recep Tayyip Erdogan. Dans une déclaration à la limite de la courtoisie diplomatique à l’égard d’un allié, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a dit que le soutien à la Turquie n’était pas « un blanc-seing » donné à son président. De son côté Angela Merkel n’a pas mentionné le nom d’Erdogan en prenant position contre le coup d’Etat. Il est vrai que les relations entre l’Allemagne où vivent quelque 5 millions de Turcs, et la Turquie se sont détériorées après que le Bundestag a qualifié de « génocide » le massacre des Arméniens en 1915. Quant aux Américains, ils apprécient peu d’être mis en cause pour abriter l’imam Fetullah Gülen, l’ennemi juré du chef de l’AKP depuis leur rupture de 2013.
Erdogan, en effet, est un allié encombrant. A plusieurs titres. En Turquie même, il entraîne le pays sur la voie d’un système autoritaire mâtiné d’islamisme rampant. Candidat à l’entrée dans l’Union européenne, le pays s’était peu à peu démocratisé depuis le début des années 2000. La perspective d’une adhésion s’éloignant, Recep Tayyip Erdogan ne cherche plus à donner le change. Ses attaques répétées contre la liberté de la presse et la liberté d’expression en sont la preuve. Il a aussi refusé de modifier la loi turque sur le terrorisme pour obtenir de Bruxelles la suspension de l’obligation de visa pour les touristes turcs. Et ce n’est pas la tentative de putsch qui devrait l’amener à se montrer plus souple sur une législation qui permet de traiter n’importe quel opposant comme un « terroriste ». Abolie officiellement en 2007, la peine de mort pourrait être rétablie pour les putschistes, si l’on en croit le Premier ministre turc, Binali Yildirim.
A l’extérieur, la Turquie reste une pièce essentielle dans le dispositif de défense de l’OTAN en gardant le flanc sud-est de l’Alliance atlantique. Mais sa fiabilité dans la lutte contre l’Etat islamique suscite des doutes chez ses alliés. « Il y a des questions qui se posent. Il y a une part de fiabilité et il y a une part de suspicion aussi, c’est vrai », a déclaré, le dimanche 17 juillet sur France 3, le chef de la diplomatie française. La suspicion porte sur les complicités entre l’Etat islamique et certains réseaux turcs qui ont permis à celui-ci de se financer en écoulant le pétrole des territoires passés sous son contrôle. Si ces connivences ont maintenant cessé, il n’en reste pas moins que Recep Tayyip Erdogan est plus intéressé à combattre les Kurdes du PKK que les djihadistes.
La Turquie n’était certes pas un modèle de démocratie quand elle a adhéré à l’OTAN en 1953 (pas plus que le Portugal de Salazar qui en était membre ou la Grèce des colonels dans les années 1960). Mais les temps ont changé. Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN n’a plus comme priorité l’endiguement du communisme et elle est devenue plus regardante sur la nature de ses alliés.
Recep Tayyip Erdogan aurait tort de chercher à utiliser la position stratégique de son pays pour justifier son comportement erratique, ses infractions aux principes de l’Etat de droit et pour faire pression sur les Etats-Unis et sur les Européens. Pour les uns comme pour les autres, trop c’est trop.