Etats-Unis/Israël : J Street contre l’AIPAC

Aux-Etats-Unis, le mouvement juif J-Street, créé il y a deux ans, se distingue de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee, qui soutient fortement la droite israélienne) en cherchant à promouvoir le processus de paix au Proche-Orient. Un de ses fondateurs était récemment de passage à Paris.

A Washington, les rues sont désignées par des chiffres ou par des lettres. Il y a une rue I, et une rue K – celle des lobbies —, mais pas de rue J. C’est la raison pour laquelle un groupe de pression, fondé par des juifs américains, qui milite à la fois pour la sécurité d’israël et pour la création d’un Etat palestinien, a choisi de s’appeler « J Street ». La raison, ou plutôt une des raisons, car les fondateurs eux-mêmes de J Street ne nient pas le jeu de mots : J comme Jew.

Créé il y a maintenant deux ans, J Street veut mettre fin à un paradoxe de la politique américaine. La majorité de la communauté juive américaine est libérale voire progressiste et vote démocrate. Seuls quelque 20% d’Américains d’origine juive suivent les Républicains. Car les Juifs américains ne se prononcent pas aux élections américaines en fonction du Proche-Orient, mais de sujets comme le système santé, l’éducation, l’environnement, le Darfour…

Mais quand il s’agit d’Israël et du Proche-Orient, l’expression publique est un soutien sans condition à la politique de Jérusalem et souvent des dirigeants israéliens les plus durs. La principale organisation juive, l’APAIC, est depuis vingt-cinq ans le bras américain du Likoud. Elle a été particulièrement active sous la présidence de George W. Bush, à un moment où les néoconservateurs américains avaient réussi le tour de force à rassembler aussi bien les admirateurs de Benjamin Netanyahou que les fondamentalistes chrétiens.

Cette hégémonie des thèses de la droite israélienne ne convient certainement pas à la majorité de la communauté juive américaine mais il parait difficile à cette dernière de s’en désolidariser sans encourir le reproche de « trahir » Israël. C’est ce cercle vicieux que veut rompre J Street. Son message principal est qu’il n’est pas dans l’intérêt d’Israël – et des Etats-Unis —, qu’il n’y ait pas de processus de paix au Proche-Orient. C’est d’ailleurs ce que Barack Obama a déclaré dans son discours du Caire. Les membres de J Street sont prêts à soutenir un plan Obama dans le conflit israélo-palestinien, encore faudrait-il qu’il y en ait un, a déclaré Daniel Lévy, un des fondateurs du groupe de pression, lors d’un récent passage à Paris.

J Street se propose de remplir trois espaces :

- Comme pour tout bon lobby américain qui se respecte, le premier objectif est de ramasser des fonds pour soutenir des candidats au Congrès partageant leur point de vue. Pour des raisons électorales, réelles ou supposées, la majorité des membres du Congrès adopte une position très conservatrice sur le Proche-Orient, de peur d’être « puni » par le « vote juif », comme si toute la communauté était sur la ligne « Israël n’est pas un Etat comme un autre et ne peut pas tromper ».

- Le deuxième espace est celui des valeurs : les membres de J Street pensent que le statu quo défendu par le lobby pro-israélien traditionnel est contraire aux valeurs d’Israël et du judaïsme. Ils sont préoccupés par l’érosion qu’ils constatent du consensus démocratique en Israël et de la mainmise de l’appareil sécuritaire, lié aux colons et aux processus de colonisation dans les territoires occupés, sur la vie politique israélienne. En 1993, il y avait 110 000 juifs en Cisjordanie ; maintenant il y en a 500 000, avec Jérusalem-Est. C’est un électorat important pour tous les partis israéliens.

- Le troisième objectif de J Street est de pousser l’administration américaine à jouer un rôle actif dans la recherche d’une solution. Sans poussée extérieure, les acteurs sur le terrain ne pourront pas s’entendre. Selon J Street, les Etats-Unis devraient placer les Israéliens devant un choix clair et laisser entendre qu’il y aura des conséquences pour les relations américano-israéliennes si Israël fait le mauvais choix. L’Europe n’est sans doute pas un acteur décisif dans la région mais elle a une capacité d’analyse qui devrait lui permettre de placer le gouvernement israélien devant ses responsabilités.

J Street fait du fund raising, du lobbying sur Internet, crée des organisations dans les circonscriptions où il est possible de faire élire un membre du Congrès acquis à ses thèses et anime une "J Street U" pour les universités, où les jeunes semblent de plus en plus hostiles à Israël et sensibles aux arguments arabes. Ce groupe de pression se donne pour but « d’écarter les obstacles » à un engagement fort des Etats-Unis en faveur de la solution des deux Etats et de donner une voix aux juifs américains qui, tout en étant convaincus que la survie à long terme d’Israël passe par cette solution, n’osent pas s’opposer à la politique officielle de Jérusalem.