Lors de leur première rencontre en 2001 en Slovénie, le président américain avait "lu dans les yeux" de Vladimir Poutine jusqu’au fond de son âme et avait cru y découvrir un chic type avec lequel il pourrait s’entendre. Il pensait peut-être aussi, à tort, qu’il pouvait en profiter pour faire avaler aux Russes quelques décisions qu’ils considéraient dirigées contre eux. Comme l’élargissement de l’OTAN, l’installation d’éléments d’une défense antimissiles en Pologne et en République tchèque après la dénonciation unilatérale, en 2002, du traité ABM sur la limitation des armes antibalistiques. Les Américains, surtout les néoconservateurs, estimaient que ce traité était un reliquat de la guerre froide. Sans doute à juste titre. Mais il était difficile d’en convaincre les Russes qui pensent que les Américains veulent être en mesure d’infliger des pertes considérables à l’adversaire avec une seule frappe nucléaire.
Pour Barack Obama qui doit avoir trois jours d’entretien, du lundi 6 au mercredi 8 juillet, avec le président Dmitri Medvedev et « son » premier ministre Vladimir Poutine, la tache est rude. Même s’il n’attache pas une importance prioritaire à ses relations avec le Kremlin – le temps n’est plus où le système international était structuré par l’entente ou les désaccords entre les deux super Grands —, le président américain sait qu’il peut avoir besoin de la Russie pour l’aider à résoudre un certain nombre de conflits.
Trois sujets à l’ordre du jour
L’ancien conseiller pour la sécurité du président démocrate Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski a, dans un article publié jeudi 2 juillet par le Financial Times, distingué trois types de sujets à l’ordre du jour du sommet de Moscou. Les premiers concernent les dossiers où les intérêts russes et américains coïncident, par exemple l’Afghanistan. Les deuxièmes sont ceux où les deux parties peuvent tirer profit d’un compromis, la réduction des arsenaux nucléaires. Les troisièmes enfin, ceux où il est important de faire prendre conscience aux Russes du coût qu’ils auront à supporter s’ils ne respectent pas les règles du jeu communément admises.
Un accord sur l’Afghanistan a été préparé par les diplomates avant même l’arrivée de Barack Obama à Moscou. Après avoir permis aux Américains d’acheminer par terre des équipements vers l’Afghanistan, les Russes vont ouvrir leur espace aérien pour le transport d’armes et de troupes. Avec le maintien de la base que le Kirghistan voulait faire fermer sous la pression de Moscou, cet accord devrait faciliter l’approvisionnement des forces de la coalition en lutte contre les talibans. Les commentateurs russes reconnaissent d’ailleurs qu’en Afghanistan, les Occidentaux protègent aussi le flanc sud de la Russie.
Le gros morceau reste la réduction des armements. Elle est importante en elle-même. Le traité START de 1991 vient à échéance à la fin de décembre et s’il n’est pas renouvelé ou remplacé par un autre texte, le contrôle des arsenaux nucléaires russe et américain ne fera plus l’objet d’un accord international, pour la première fois depuis des décennies. La situation serait alors, symboliquement au moins, pire que pendant la guerre froide. En 2002, Vladimir Poutine et George W. Bush s’étaient entendus pour limiter à 2200 têtes nucléaires les arsenaux des deux camps. Une nouvelle réduction pourrait aller jusqu’à 1500 à 1800 ogives, avec réduction également des missiles porteurs. Barack Obama avait parlé de 1000 têtes, Dmitri Medvedev de moins de 1700. Si les deux présidents ne peuvent tomber d’accord maintenant, ils devraient au moins donner des indications aux diplomates qui prépareront les textes pour la fin de l’année.
Les chiffres ont eu valeur très théorique. Bien que les informations précises manquent de source russe, les experts pensent que Moscou possède moins de fusées et de têtes nucléaires que les plafonds actuellement autorisés. La production des missiles Topol-M, par exemple, dont les modèles sont présentés dans les défiles militaires, souffre des difficultés économiques. Mais la Russie ne veut pas tomber au niveau des « petites » puissances nucléaires comme la France et la Grande-Bretagne qui ne possèdent que quelques centaines de vecteurs.
Un accord sur la réduction significative des arsenaux nucléaires aurait cependant une signification politique, allant au-delà des rapports américano-russes. Il serait présenté comme un premier pas vers ce monde sans armes nucléaires que le président américain a appelé de ses vœux dans son discours de Prague, au mois d’avril. Il serait un signal envoyé aux Etats qui rêvent de se doter de l’arme nucléaire en tablant sur l’inanité de tels programmes, à un moment où le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) doit être renouvelé. Le premier visé serait bien sûr l’Iran, même s’il est peu probable, à court terme, que les mollahs soient très impressionnés.
L’Iran est en effet un des sujets importants à l’ordre du jour du sommet de Moscou. Si les Occidentaux veulent aggraver les sanctions qui frappent Téhéran, ils ont besoin de l’appui au moins tacite de la Russie (et de la Chine) au Conseil de sécurité des Nations unies. Jusqu’à maintenant, les Russes ont suivi mais avec réticence. Ils ne veulent pas d’un Iran avec la bombe mais ils ne veulent pas se montrer solidaires des Occidentaux pour garder une carte dans leurs relations historiquement tendues avec l’Iran.
Sphère d’influence contre démocratie
Dans ces conditions, les sujets de désaccord comme l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud, encouragée et reconnue par Moscou, risquent de passer au second plan. Les Russes maintiennent la pression en organisant au même moment des manœuvres dans le Caucase (comme en 2008 avant la guerre russo-géorgienne d’août) et en chassant les observateurs de l’ONU ou de l’OSCE. Mais Barack Obama ne voudra pas que l’ensemble des relations entre les Etats-Unis et la Russie soit « pris en otage » par des conflits périphériques.
Il n’en demeure pas moins que le président américain ne doit pas donner l’impression de donner carte blanche à la Russie dans ce que cette dernière considère comme sa sphère d’influence, c’est-à-dire les anciennes républiques soviétiques qui ne sont pas encore dans l’OTAN ou dans l’Union européenne. Il devrait réaffirmer le droit de chaque Etat souverain de choisir ses alliances même s’il ne va pas pousser pour l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN. Il compte plutôt sur l’UE pour arrimer ces pays à l’Occident.
De même devrait-il refuser l’échange proposé implicitement par les Russes entre l’abandon de la défense antimissiles en Europe et un accord sur la limitation des armements. Il a certes des réserves sur le programme mais il n’abattra pas ses cartes dès le premier sommet.
La partie la plus délicate de la visite du président américain concerne sans doute la situation intérieure russe. Barack Obama est décidé à parler avec les dirigeants de la Russie comme avec ceux d’autres pays, quand bien même ils ne lui conviendraient pas. Mais il ne pourra éviter de rappeler que les Etats-Unis se trouvent aux côtés de ceux qui, en Russie comme ailleurs, se battent pour la démocratie.