L’élection de Jerzy Buzek, ancien opposant devenu premier ministre après la chute du communisme, est le symbole éclatant de l’unité retrouvée de l’Europe, concrétisée il y a cinq ans par l’adhésion de huit anciens pays communistes. L’événement a été salué avec émotion par la plupart des dirigeants européens.
Il n’est pas indifférent que, vingt ans après la chute du mur de Berlin, l’année même où se préparent des commémorations solennelles, un militant de Solidarité, le syndicat ouvrier par lequel le changement est venu, en Pologne d’abord, dans le reste de l’empire soviétique ensuite, soit choisi pour présider l’une des grandes institutions de l’Union européenne.
Ce n’est pas la première fois qu’un Polonais occupe une fonction importante au Parlement européen puisque, dans le Parlement sortant, la prestigieuse commission des affaires étrangères était présidée par l’économiste Jacek Saryusz-Wolski, qui fut l’un des artisans de l’adhésion de son pays, mais l’élection de M. Buzek à la présidence du Parlement représente, sur le plan symbolique, un événement plus important, qui couronne la réunification de 2004.
Revanche polonaise
La candidature d’un autre grand Polonais, l’historien Bronislaw Geremek, décédé en 2008 d’un accident de voiture, avait été proposée il y a cinq ans mais elle avait échoué, faute du soutien des deux principaux groupes du Parlement. M. Geremek, il est vrai, était membre du petit groupe libéral, et non de l’un des deux grands groupes.
Le large succès de M. Buzek, qui appartient, lui, au PPE, premier groupe du Parlement, constitue une sorte de revanche, ainsi qu’une reconnaissance officielle du rôle éminent de la Pologne, l’un des six Etats les plus peuplés de l’Union et, à ce titre, l’un de ceux qui sont les mieux placés pour aspirer à une fonction occupée notamment, depuis 1979, par la France (trois fois), l’Allemagne (trois fois), l’Espagne (deux fois), le Royaume uni (une fois).
Toutefois, au-delà de la personne du nouveau président et du caractère historique de son élection, les circonstances de sa désignation, par un accord général entre la droite et la gauche, suscitent une certaine perplexité, que les eurodéputés socialistes français ont choisi d’exprimer en s’abstenant dans le vote. Une fois de plus, les deux principaux groupes du Parlement – les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates du PSE, devenu Alliance des socialistes et des démocrates – se sont entendus pour se partager la présidence.
Consensus ou confusion politique ?
Jerzy Buzek l’exercera, en effet, pendant la première moitié de la législature et le socialiste allemand Martin Schulz pendant la deuxième moitié. Cet arrangement, qualifié d’accord « technique » par les intéressés pour bien marquer qu’il ne s’agit pas d’un accord politique, est devenu traditionnel au Parlement européen. Il a permis à M. Buzek d’être élu par 555 voix contre 89. Il se manifeste également par la répartition des présidences de commission à la proportionnelle et par une pratique parlementaire qui s’emploie à dépasser, aussi souvent que possible, les frontières droite-gauche.
On peut considérer cette recherche du consensus, dans un Parlement où aucune force ne dispose de la majorité absolue, comme un signe de bonne santé démocratique, mais en allant jusqu’à un partage de la présidence entre les deux grands groupes elle introduit le risque d’une confusion politique dont le Parlement pourrait être la victime. Au moment où celui-ci est affaibli par le taux élevé d’abstentions aux élections européennes, il améliorerait son crédit en offrant des choix politiques clairs.
L’alliance entre les deux grands groupes ne favorise pas cette clarté. Pourquoi s’affronter pendant la campagne avant de s’unir, sur un enjeu aussi important que la présidence, une fois l’élection passée ? La répartition des présidences de commission est une bonne application de la démocratie parce qu’elle bénéficie à tous les groupes. En revanche, le partage de la présidence entre conservateurs et sociaux-démocrates peut apparaître comme une confiscation du pouvoir par les deux forces principales du Parlement. Ce n’est pas la meilleure manière de combler le « déficit démocratique » dont souffrent, de l’avis général, les institutions européennes.