Europe/Turquie : l’enjeu de la sécurité et de la défense

L’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne a organisé, vendredi 18 juin, un séminaire sur les relations entre la Turquie et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ces relations sont compliquées par l’implication de la Turquie dans la plupart des missions extérieures de l’UE, par le statut de candidat du pays qui est par ailleurs membre de l’OTAN, et par le conflit chypriote, qui provoque des vetos réciproques entre Ankara et Nicosie.

Comment être dedans sans l’être vraiment, vouloir assumer un rôle particulier d’allié « européen non-membre de l’UE » sans pour autant revendiquer un statut privilégié qui pourrait devenir un substitut à l’adhésion souhaitée à l’Union européenne ? Comment participer à la politique de sécurité et de défense commune, apporter sa contribution aux missions extérieures de l’UE, sans pour autant avoir voix au chapitre dans les décisions politiques tout en ayant un doit de veto sur l’utilisation par les Européens des ressources de l’OTAN où les décisions sont prises à l’unanimité ? Comment coopérer avec une institution – l’UE – dont on ne reconnaît pas un des membres – la République de Chypre ?

Ce sont ces questions, à peine simplifiées pour les besoins d’une meilleure compréhension, à laquelle les Turcs et les Etats-membres de l’UE doivent répondre pour améliorer la coopération dans les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, au Kosovo ou en Bosnie, par exemple. Cette coopération est essentielle pour plusieurs raisons. La Turquie est un pays militairement important en Europe et dans son environnement. Elle est un des pays alliés de l’OTAN dont la coopération est indispensable à l’UE, parce qu’elle possède les capacités militaires et les organes de commandement qui font encore largement défaut à l’Europe.

La coopération entre Ankara et l’UE a aussi des racines historiques. La Turquie était étroitement associée à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) qui était, avant le développement de l’union politique, le lieu pour la coopération européenne en matière de sécurité et de défense. Avec l’apparition de la politique européenne de sécurité et de défense, les capacités – essentiellement institutionnelles – de l’UEO ont été intégrées dans l’UE. Au grand déplaisir des membres européens de l’OTAN qui ne sont pas membres de l’UE (Islande, Norvège, Turquie) et dans une certaine mesure des deux membres américains de l’Alliance (les Etats-Unis et le Canada).

Toutefois, la situation de la Turquie était particulière parce qu’elle devait obtenir en 1999 le statut de pays candidat à l’UE. Dans ces conditions, Ankara voulait d’autant moins se retrouver dans une situation « diminuée » par rapport au temps de l’UEO, que la République de Chypre (grecque) est devenue, en 2004, membre à part entière de l’UE, après avoir rejeté le plan Annan de réunification de l’île.

Le gouvernement d’Ankara dispose d’un atout dans son dialogue avec l’UE : il peut bloquer le recours de l’UE aux ressources de l’OTAN pour des opérations militaires européennes dans lesquelles l’Alliance atlantique en tant que telle n’est pas impliquée (processus dit Berlin-plus). Il y a quelques décennies, c’était la France qui s’opposait à une coopération entre l’OTAN et l’UE, pour des raisons de principe. Les objections françaises sont maintenant levées. De pragmatique, la concertation entre les deux organisations est devenue institutionnelle. Sur les vingt-sept membres de l’UE, vingt font aussi partie de l’OTAN, les autres participent au Partenariat pour la paix, sauf Chypre, à cause du veto turc. Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, et le Haut représentant pour la politique étrangère commune, Catherine Ashton, ont entamé des consultations régulières.

L’amélioration des relations OTAN-UE devraient faciliter les rapports Turquie-UE. D’autant plus que du côté européen, on est favorable au renforcement de la concertation sur les terrains d’opération ainsi qu’au niveau politique. A une condition cependant : que la Turquie ne prononce pas d’exclusive à l’égard d’un des Etats-membres de l’UE, c’est-à-dire Chypre. Or les officiels turcs refusent souvent de siéger en même temps que le représentant chypriote (grec). De son côté Nicosie met son veto à la participation de la Turquie à l’Agence européenne de défense, alors que la Turquie était naguère membre du groupement des armements de l’Europe occidentale, agence de l’UEO.

Sans revendiquer un statut spécial, qui ressemblerait trop au « partenariat privilégié » que les adversaires de son adhésion à l’UE lui réservent, la Turquie voudrait être traitée comme un allié « à part » de l’UE. Pour participer à des opérations européennes, et notamment aux missions civiles qui sont pour le moment l’apanage de l’UE, les autorités d’Ankara veulent être associées au decision shaping (formule diplomatique pour ne pas dire la prise de décision mais sa mise en forme), à la planification et à l’exécution des opérations. Elles regrettent que leurs propositions informelles pour renforcer la coopération, datant de 2008, n’aient reçu aucune réponse de la part de l’Union. Elles reprochent à Catherine Ashton d’avoir repris les idées grecques qui reviennent, selon elles, à exiger une reconnaissance au moins implicite de la République de Chypre. L’opinion turque ne comprendrait pas « de nouvelles concessions unilatérales » de la part d’Ankara.

La réponse de l’UE est claire : toutes les formes de dialogue sont envisageables, militaires, civiles, institutionnelles, informelles, etc. mais la Turquie doit accepter l’UE telle qu’elle est, avec ses vingt-sept Etats-membres.