La décision n’est pas encore prise mais elle ne fait aucun doute. Au sommet atlantique du 3 et du 4 avril à Strasbourg et Kehl, Nicolas Sarkozy annoncera, pour le 60è anniversaire de l’organisation, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, que le général De Gaulle avait quitté en 1966.
Des tractations de dernière minute ont lieu sur le partage des postes avec les Américains et les autres alliés – quelque 900 officiers français vont revenir dans les divers commandements – mais les grandes lignes sont connues. Officiellement, on déclare que la question des postes est secondaire et que la vraie question est de savoir si les Français veulent être acteurs ou « coscénaristes », c’est-à-dire s’ils veulent contribuer à écrire l’histoire future de l’OTAN. Il ne s’agit ni plus ni moins, ajoute-t-on, que de « codiriger » l’Alliance. Et de codéterminer les réformes qui y sont nécessaires.
Le président de la République peut même affirmer qu’il se situe ainsi dans la droite ligne du fondateur de la Vè République. L’objectif du général De Gaulle dès son retour au pouvoir en 1958 n’avait-il pas été de créer à la tête de l’organisation atlantique un « directoire » à trois, avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ? C’est le refus de nos alliés qui le poussa, après avoir mis fin à la guerre d’Algérie et assuré à la France la possession d’une force de frappe nucléaire, à retirer nos forces des structures militaires intégrées.
Partage des responsabilités
Mais pour « codiriger » l’Alliance, il faut bien tout de même s’intéresser aux postes. C’est ainsi que deux commandements devraient revenir à la France. Celui de Norfolk aux Etats-Unis, chargé de la transformation de l’OTAN, ainsi qu’un commandement régional, celui de Lisbonne, qui est le quartier général de la Force de réaction rapide de l’OTAN. Ainsi, dit-on à l’Elysée, la France aura deux des commandements les plus importants, celui qui réfléchit à l’avenir de l’OTAN, à ses structures et ses équipements, et celui qui dirige les missions de maintien de la paix qui sont essentielles depuis que la fin de la guerre froide a mis la défense territoriale au second plan.
Si cette opération est menée jusqu’à son terme de la manière envisagée, il est indéniable que le caractère européen de l’OTAN sera renforcé. C’est une vieille revendication que la France, plus encore que ses partenaires européens, met en avant depuis au moins une quinzaine d’années. Si la France veut que l’Europe ait une politique de défense, disait déjà Jacques Chirac en 1995 quand il amorça le rapprochement — avorté – avec l’OTAN, il faut aller chercher nos partenaires européens là où ils sont, c’est-à-dire dans l’organisation atlantique. Le retour plein et entier de la France lève les suspicions qui pèsent sur ses intentions profondes. On ne peut plus lui reprocher de vouloir miner l’OTAN. Rien ne devrait donc s’opposer désormais à ce que tout le monde travaille à la création d’une Europe de la défense.
Paradoxes en chaîne
Le problème est que l’argument peut être renversé : si l’Europe pèse d’un poids nouveau dans une OTAN « européisée », pourquoi créerait-elle sa propre défense ? D’autant plus que les moyens de tous sont limités et que les forces et ressources allouées à l’OTAN et à l’Europe sont les mêmes. Le paradoxe serait alors qu’une OTAN plus européenne scellerait la fin des espoirs d’une défense européenne. Certains observateurs américains l’ont compris depuis longtemps. Ils ont insisté sur les faiblesses institutionnelles et matérielles des Européens dans le domaine militaire et expliqué que l’Europe de la défense devenait inutile si les membres de l’Union européenne prenaient du poids dans l’OTAN. Le paradoxe s’ajouterait au paradoxe : les dirigeants américains donneraient leur bénédiction à l’Europe de la défense au moment où celle-ci devient superflue.
Tout au plus les Etats-Unis pourraient-ils admettre une sorte de « caucus » européen au sein de l’Alliance, c’est-à-dire une représentation unique de l’UE qui permettrait à l’Europe de parler d’une seule voix. Mais là encore, ils seraient en mesure de se donner le beau rôle. Ils pourraient en effet mettre les Européens au défi de s’entendre sur les grands choix stratégiques, ce qu’ils ne sont pas encore en mesure de faire. Sans parler des objections des pays européens de l’OTAN qui ne sont pas membres de l’UE (Turquie, Norvège, Islande) et de la situation délicate dans laquelle pourraient se trouver les membres de l’UE qui n’appartiennent pas à l’OTAN (Suède, Finlande, Autriche, Irlande).
L’Alliance atlantique est une organisation étrange. Les décisions s’y prennent à l’unanimité, autrement dit aucun membre ne peut se voir imposée une action qu’il désapprouverait et en même temps, le leadership américain n’y est guère contesté que par les petites piques françaises. Si la France rejoint la Grande-Bretagne et l’Allemagne parmi les interlocuteurs privilégiés de Washington, cela suffit sans doute pour que Nicolas Sarkozy considère que l’Europe est l’égale de l’Amérique.