Depuis qu’elle s’est donné pour objectif la construction d’un tel espace, l’Union européenne définit, tous les cinq ans, un programme de travail pour avancer dans cette voie. Après le programme de Tampere, approuvé en 1999 sous présidence finlandaise, puis le programme de La Haye, décidé en 2004 sous présidence néerlandaise, les Européens s’apprêtent à adopter avant la fin de l’année, sous présidence suédoise, le programme dit de Stockholm, qui fixera leur politique pour les cinq années à venir.
La Commission européenne a rendu publiques il y a quelques semaines ses propres propositions, qui vont être soumises à la discussion des Etats membres et du Parlement européen. Deux chercheurs du CEPS (Centre for European Policy Studies), Elspeth Guild et Sergio Carrera, se sont penchés sur ces propositions (www.ceps.eu). D’autres experts vont à leur tour les analyser et les commenter. Ce sera l’occasion pour les décideurs de faire le point sur les politiques européennes dans ce domaine et de réfléchir à leurs orientations nouvelles à partir de 2010.
Trois grandes thématiques
Le domaine baptisé « liberté, sécurité et justice » recouvre trois grandes thématiques : la protection des libertés publiques, à commencer par la liberté de circulation, qui est l’un des fondements de la construction européenne ; les politiques d’immigration et d’asile ; la coopération judiciaire et policière entre les Etats membres. Des progrès notables ont été enregistrés sur ces trois sujets. Les contrôles aux frontières intérieures ont été levés. Les bases d’une politique commune d’immigration et d’asile ont été posées. Le mandat d’arrêt européen a facilité la coopération judiciaire et policière. Une partie des engagements pris il y a dix ans a été tenue.
La Commission européenne a joué un rôle important dans la mise en œuvre des deux premiers programmes, ceux de Tampere et de La Haye. C’est le commissaire portugais Antonio Vittorino qui a ouvert la voie au sein de la Commission Prodi. Son œuvre pionnière a été prolongée, au sein de la Commission Barroso, par l’Italien Franco Frattini puis par le Français Jacques Barrot, titulaires successifs du poste. Quelles sont, dix ans après le lancement de ces politiques, les avancées de l’Union en matière de libertés publiques, d’immigration et d’asile, de justice et de police ? Quelles sont ses insuffisances, voire ses échecs ?
Des lacunes à combler
Selon la Commission, « des efforts considérables restent à faire ». Pour elle, « la priorité doit maintenant être de mettre le citoyen au centre du projet ». L’Europe des citoyens devra être, dit-elle, à la fois une « Europe des droits », une « Europe de la justice », une « Europe qui protège » et une « Europe solidaire » Pour atteindre ces buts, la Commission appelle à combler certaines lacunes des politiques actuelles.
Le plein exercice du droit à la libre circulation n’est pas encore assuré, estime-t-elle. La lutte contre les discriminations, le racisme, la xénophobie doit être renforcée, la protection des données personnelles et de la vie privée mieux garantie. La participation des Européens à la vie démocratique de l’Union demeure faible. Des inégalités subsistent en matière de droit d’asile. L’intégration des immigrés laisse à désirer. En matière pénale, les garanties procédurales minimales sont insuffisantes.
Bref, il ne suffit pas de s’entendre sur des principes et des normes, il faut aussi veiller à leur stricte application. De vastes chantiers s’ouvrent donc aux Vingt-sept, dans les cinq prochaines années, pour rendre accessible aux Européens, quel que soit leur pays de résidence, un espace commun de liberté, de sécurité et de justice.
Les mêmes droits pour les non-citoyens
Les deux experts cités plus haut expriment un certain scepticisme à l’égard de cet ambitieux programme, qu’ils jugent souvent imprécis et parfois ambigu, dans le domaine de la protection des libertés, par exemple, ou du respect des droits des immigrés. Mais ils mettent surtout en question l’idée d’une Europe des citoyens, à laquelle ils préféreraient celle d’une Europe des individus.
Le concept de citoyen, soulignent-ils, se réfère exclusivement aux personnes qui bénéficient de la nationalité d’un des vingt-sept Etats membres. Mais l’espace de liberté, de sécurité et de justice ne soit-ils pas s’étendre à tous, quel que soit leur statut administratif ? L’accent mis sur le citoyen ne doit pas établir une ligne de partage entre les citoyens européens et les ressortissants des pays tiers, affirment-ils. Les non-citoyens doivent avoir également accès au droit européen.
S’il est vrai que l’immigration est appelée à être, dans les années à venir, un enjeu majeur des politiques européennes, il est important que les réponses de l’Union ne soient pas contraires aux valeurs qu’elle prétend défendre.