A l’issue du Conseil européen de Bruxelles, José Manuel Barroso a gagné la bataille : il sera reconduit pour cinq ans à la présidence de la Commission européenne. Certes une partie des eurodéputés lui demeure hostile, mais on ne voit pas comment ils parviendraient à constituer une majorité pour faire obstacle à son renouvellement.
M. Barroso a le soutien de son parti, le PPE, qui reste le premier groupe du Parlement européen, et il a l’appui des vingt-sept Etats membres, dont la France et l’Allemagne, mais aussi la Grande Bretagne et l’Espagne, dirigées par des gouvernements sociaux-démocrates. Il ne fait donc aucun doute qu’il sera, pour cinq ans encore, le chef de l’exécutif européen.
Le renouvellement de l’ancien premier ministre portugais à la tête de la Commission ne provoque pas l’enthousiasme. La personne de M. Barroso, affable diplomate habile à la négociation et au compromis, n’est pas en cause. Ses idées non plus : cet ancien maoïste devenu un libéral convaincu a les mêmes vues que la plupart des dirigeants européens sur la gestion du marché intérieur, principale réalisation de l’UE, et sur la réponse à la mondialisation.
Ce qui lui est surtout reproché, non sans raison, c’est son relatif effacement dans la gouvernance de l’Union. M. Barroso a fait preuve durant son mandat, et en particulier en 2008, face aux difficultés économiques, d’un attentisme prudent là où certains auraient souhaité plus d’autorité et de réactivité. Il n’a pas su ou n’a pas voulu imposer son leadership dans l’exercice de sa fonction.
L’ancien ministre français chargé des affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, s’en est ému, parmi d’autres, en regrettant dans son livre Une présidence de crises, la faiblesse de la Commission en réponse à la crise financière. « La Commission a chipoté pendant des mois en se demandant si les aides étaient bien proportionnées, si elles n’engendraient pas une concurrence déloyale, écrit-il. Autant de questions qui ont lieu d’être en période calme, mais pas au milieu de la tempête ».
Gestionnaire avisé par temps serein, M. Barroso serait, à en croire M. Jouyet, inapte à conduire le vaisseau européen par gros temps. A la différence de Jacques Delors, resté dans les mémoires comme l’archétype du président dynamique, inventif et toujours en action, il aurait, par pusillanimité ou manque d’imagination, présenté des mesures trop souvent tardives et insuffisantes.
Rares sont ceux qui contestent ce diagnostic, mais la question est de savoir si M. Barroso avait vraiment les moyens de faire plus. Le précédent Delors est une exception dans l’histoire de la Commission : la personnalité de l’homme, sans doute, mais aussi le ferme soutien que lui apportaient François Mitterrand et Helmut Kohl, ont donné pendant quelques années un rôle éminent à l’exécutif européen. Mais ni les prédécesseurs ni les successeurs de M. Delors n’ont joui d’un tel prestige.
En réalité, c’est la fonction même du président de la Commission qui s’est trouvée peu à peu dévalorisée, notamment après M. Delors. Le pouvoir de la Commission a en effet progressivement diminué, au bénéfice du Conseil européen d’abord, devenu le véritable centre d’impulsion de l’Union, et du Parlement ensuite, doté de compétences de plus en plus importantes. Le traité de Lisbonne, s’il entre en vigueur, accentuera encore cette tendance, avec la mise en place d’un président stable de l’UE, représentant les Etats membres, et la reconnaissance du rôle accru des eurodéputés.
M. Barroso s’est accommodé de cette double dépendance, à laquelle il ne pouvait pas échapper. Il a subi le pouvoir du Parlement lorsque celui-ci, en 2004, l’a obligé à remanier son équipe en obtenant le départ du commissaire nommé par l’Italie. Il a accepté le pouvoir dominant du Conseil en expliquant inlassablement que le président de la Commission devait être au service des Etats membres, et non pas en rivalité avec eux.
Ni les gouvernements ni les eurodéputés ne paraissent disposés à laisser au chef de l’exécutif une grande marge de manœuvre. Dans le dialogue direct qui se noue désormais entre le Conseil et le Parlement, le président de la Commission risque d’être relégué au second plan. Désigné par le premier, approuvé par le second, il n’est pas encouragé à leur tenir tête.
M. Barroso est à l’image de ceux qui l’ont choisi. A l’image d’un Parlement dont les élections viennent de montrer qu’il ne suscite pas l’engouement des électeurs. A l’image de gouvernements qui ne manifestent pas une grande passion pour l’Europe. A l’image d’une Union européenne fragile et velléitaire face aux grands défis du moment.