Europe, où es-tu ?

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

Un débat d’une heure et demi, lundi 22 octobre, sur la politique étrangère entre le président sortant et celui qui aspire à le devenir, une dizaine de thèmes abordés, de la Chine au Moyen-Orient, et pas un mot sur l’Europe. Barack Obama a rappelé sa tournée à travers le monde en 2008 alors qu’il n’était que candidat sans évoquer son passage – triomphal – à Berlin. Tout se passe comme si la mention même de l’Europe pouvait être un handicap pour tout prétendant à devenir le président de la première puissance du monde. Le seul moment où elle est apparue, et pas sous son meilleur jour, c’est quand Mitt Romney a accusé son adversaire d’amener les Etats-Unis sur la voie de la Grèce.

On peut regretter cette ignorance. Les Américains ne s’intéressent plus au Vieux continent au secours duquel ils sont venus deux fois en un demi-siècle, en 1917 et en 1941. C’est en Europe qu’étaient leurs racines. Ce n’est plus le cas. La proportion des immigrés d’origine latino-américaine augmente dans la population américaine. Le président Obama est d’une certaine manière l’expression de ce « pivotement » vers le Pacifique et l’Asie qui est la nouvelle priorité stratégique de Washington. Les relations transatlantiques qui étaient au cœur de toutes les discussions de politique étrangère pendant la guerre froide et dans la période qui l’a directement suivie semblent avoir totalement disparu des préoccupations des dirigeants d’outre-Atlantique. Reste la Russie, présentée par Mitt Romney, au cours de la campagne mais pas dans le débat de lundi soir, comme la principale « menace stratégique » à laquelle doit faire face l’Amérique. Mais les échanges entre le président et son challengeur se sont surtout concentrés sur le monde arabo-musulman et sur la Chine.

On peut a contrario se féliciter que l’Europe ne soit plus au centre de l’intérêt des Américains. Elle est absente des débats parce qu’elle n’est plus vue comme un problème. C’est un progrès par rapport aux décennies passées. Depuis la guerre en Irak et le refus de la France et de l’Allemagne d’y participer en 2003, il n’existe plus de différend fondamental entre les deux rives de l’Atlantique. Des désaccords subsistent sur l’Afghanistan, sur le rôle et la réforme de l’OTAN, sur un certain nombre de questions économiques et commerciales, mais ils se traitent dans un climat plus serein que tendu.

L’Europe n’est plus un problème, c’est bien. Elle n’est pas non plus un élément de la solution des problèmes internationaux. C’est au moins ainsi que les Etats-Unis la considèrent. Et c’est plus inquiétant. Les Européens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Malgré tous leurs efforts pour parler d’une seule voix, ils apparaissent toujours aussi dispersés quand il s’agit des grandes questions de politique internationale. Les Etats membres les plus importants préfèrent rester les interlocuteurs privilégiés de Washington, au risque de voir leur influence diluée. Et d’être ignorés des deux hommes qui s’affrontent pour diriger ce que Barack Obama, après Bill Clinton, a appelé « la nation indispensable ».