Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais (Proverbe allemand)

Le gouvernement allemand qui a obstinément refusé la création d’eurobonds pendant la crise monétaire et financière de 2008-2011 se prépare à créer, selon le quotidien économique Handelsblatt, des Deutschland-bonds. Dans le premier cas, il se serait agi d’une mise en commun de tout ou partie de la dette pour les Etats de la zone euro ; dans le second, il s’agit du même procédé mais pour les Länder allemands.
En empruntant chacun pour soi, les Etats ou les Länder les plus faibles ou les plus endettés paient des taux d’intérêt plus élevés que les Etats ou les Länder les plus puissants économiquement. En Europe, la Commission aurait apporté la garantie de sa signature. En Allemagne, c’est l’Etat fédéral qui se portera caution.
Ce n’est pas la première fois que l’Allemagne décide des emprunts communs. En juin 2013, cette sorte de mutualisation de la dette avait été décidée mais les trois Länder les plus riches avaient refusé d’y participer. Le ministre-président de Hesse, un des trois Länder réfractaires, avec la Bavière et le Bade-Wurtemberg, avait avancé un argument que la chancelière Angela Merkel n’aurait pas désavoué face à ses partenaires européens : les Deutschland-bonds ne représentent « aucun encouragement à faire des économies » mais sont « une punition pour ceux qui font des efforts », a déclaré Volker Bouffier.
L’émission de bonds communs ne se fera pas en Allemagne sans contrepartie. L’impôt de solidarité décidé après la réunification de 1990, soit 14 milliards d’euros, reviendra aux Länder. Mais l’Etat fédéral encaissera 7 points de plus de l’impôt sur le chiffre d’affaires des sociétés.
Ce système viendrait en complément de la péréquation financière entre les Länder riches et les Länder pauvres. Depuis 2012, il n’y a plus que trois Länder à être des contributeurs nets (Bavière, Bade-Wurtemberg, Hesse) face à treize Länder qui reçoivent des subsides, dont le Land de Berlin qui accapare 40% de cette péréquation.
La pratique allemande pourrait être transférée terme à terme à l’Union européenne, notamment à la zone euro. Pourquoi n’est-ce pas possible, au moins aux yeux d’Angela Merkel et de son ministre des finances Wolfgang Schäuble ?
Trois raisons peuvent être avancées. La première est en quelque sorte technique : pour la première fois depuis des années, le budget fédéral allemand sera en équilibre en 2014. Les Allemands engrangent ainsi les résultats des efforts d’économies qu’ils ont déployés depuis les réformes Schröder en 2003. On peut comprendre qu’ils soient prêts à en faire profiter les Länder, dont certains sont très endettés et dans une situation économique difficile.
La deuxième raison est politique : construite comme une fédération avec une tradition de petits Etats à forte identité, l’Allemagne n’est pas moins une nation, au sein de laquelle peut s’exercer la solidarité. Avec des limites certes. Les Etats les plus riches sont de plus en plus réticents à payer pour les faibles accusés, comme en Europe, d’être en même temps trop dépensiers. La Bavière, qui ne veut pas emprunter pour financer les jardins d’enfants berlinois, a même porté l’affaire devant le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe. Il n’empêche que cette identité et cette solidarité sont fondées sur une assise démocratique.
C’est la troisième raison, qui souligne la différence entre un Etat fédéral comme l’Allemagne et l’Union européenne. Les juges de Karlsruhe, qui passent parfois pour eurosceptiques, ont à plusieurs reprises affirmé que l’UE n’était pas comparable à une entité étatique et que le Parlement européen n’était pas un « vrai » parlement. D’où la conclusion que la volonté populaire ne peut démocratiquement s’exprimer que par l’intermédiaire du Bundestag, c’est-à-dire d’un parlement national. Et qu’il ne faut pas espérer une solidarité financière aussi longtemps qu’il n’existera pas de véritable contrôle démocratique sur les institutions communautaires européennes.