Fatalisme face au terrorisme

Un nouvel attentat terroriste a été commis à Moscou le 24 janvier à 16 heures 32 à l’aéroport international de Domodedovo, faisant 35 morts et près de 120 blessés. L’attentat n’a toujours pas été revendiqué, bien que les enquêteurs russes privilégient la piste caucasienne, dont le mode opératoire caractérise cet attentat. L’une des hypothèses désigne pour responsable un wahhabite russe, Razdobudko, membre actif du mouvement rebelle « le bataillon de Nogaïsk » de la région de Stavropol, frontalière des pays du Caucase du Nord. Moscou avait connu un double attentat-suicide en mars 2010, perpétré dans le métro, qui avait fait 40 morts et avait été revendiqué par la rébellion islamiste l’« émirat du Caucase ». Incapables de faire face à la menace terroriste en Russie, le gouvernement et les services de sécurité ont fait l’objet de vives critiques à la suite du dernier attentat.

Domodedovo est un aéroport privé l’aéroport principal de la Russie, et accueille chaque année près de 30 millions de passagers, transportés notamment par des compagnies aériennes internationales comme British Airways ou encore Lufthansa. Les défauts de sécurité de l’aéroport avaient été très critiqués, aussi bien par des observateurs extérieurs que par les commissions nationales, qui faisaient état en 2010 de l’absence d’utilisation des appareils de sécurité à l’entrée de l’aéroport et des fausses priorités des agents de sécurité, qui s’adonnent à des rackets systématiques sur les passagers d’Asie Centrale plutôt qu’à des contrôles de sécurité. Ce sont ces mêmes agents de sécurité de Domodedovo qui en août 2004 avaient arrêté, puis relâché pour un pot-de-vin de 1.000 roubles (approximativement 25 euros) deux femmes kamikazes originaires du Caucase du Nord ; elles avaient embarqué dans deux avions qui ont explosé en vol, faisant 90 morts. La désorganisation de l’aéroport s’est plus récemment manifestée par une panne électrique fin décembre 2010, qui a duré trois jours, prenant 20.000 passagers en otage. 

Des informations

Il est cependant à noter que l’explosif du dernier attentat a été activé dans la zone des arrivées internationales de l’aéroport, zone non-sécurisée, ainsi qu’il en est dans la plupart des aéroports mondiaux. Cela n’a pas empêché le président Medvedev d’accuser les autorités de Domodedovo d’incompétence, accusation suivie du licenciement de plusieurs cadres de l’aéroport. Des experts étrangers en matière de sécurité ont d’ailleurs affirmé que l’attentat aurait pu avoir lieu dans n’importe quel aéroport international en raison du lieu « non-stérile » où il a été conduit et que le renvoi des employés de l’aéroport n’aide ni à punir, ni à prévenir le terrorisme.

Ce qui pourrait aider en revanche à prévenir les actes de terrorisme, c’est notamment le travail des agents de renseignement et de lutte anti-terroriste. Ils avaient été informés du risque d’un attentat à la suite de l’explosion le 31 décembre 2010 d’une petite maison à Moscou, louée par deux jeunes femmes, dont l’une avait été retrouvée dans les décombres avec une ceinture d’explosifs. La ceinture devait être activée à distance par un téléphone portable, et aurait explosé avant l’heure à cause d’un sms envoyé par l’opérateur téléphonique à tous ses abonnés pour leur souhaiter une bonne année. La deuxième locataire de la maison avait été arrêtée quelques jours après. Il s’agissait de l’épouse tchétchène de 24 ans d’Anverbek Amangaziev, membre actif du mouvement rebelle « le bataillon de Nogaïsk », arrêté en octobre 2010 à la suite d’une fusillade. Le chef de ce mouvement, Temerlan Gadzhiev, avant été tué le même jour. On suppose que plusieurs unités terroristes du groupe ont débarqué à Moscou en décembre dernier avec pour objectif de perpétrer un attentat à Domodedovo. Ces informations n’ont pourtant pas suffi aux services de sécurité russes pour prévenir l’attentat.

Les explosions ont eu lieu à l’avant-veille du Forum économique mondial de Davos, que le président Medvedev a ouvert le 26 janvier avant de repartir à Moscou pour superviser l’évolution de la situation après l’attentat. Le thème phare du discours du président était l’attractivité de la Russie pour les investissements étrangers, ce qui manquait probablement de force de persuasion au lendemain de la mort de plusieurs hommes d’affaires étrangers au terminal international de Domodedovo. En effet, l’explosion s’est produite au moment où atterrissaient des vols en provenance de Londres et de Düsseldorf et dont les passagers étaient attendus en salle d’arrivée par ceux qui en furent victimes. Le marché a cependant peu réagi aux attentats, si ce n’est par une baisse des indices juste après que le public eut été informé des attentats, et qui étaient entièrement rétablis vers la fin de la journée. L’aéroport a d’ailleurs continué à fonctionner normalement après la catastrophe, à l’exception de certains débarquements qui ont été retardés, les traces du carnage ayant été couvertes par des couvertures plastiques bleues à l’arrivée.

Sécurité renforcée

Comme à la suite de chaque attentat, la sécurité a été renforcée dans les transports et les aéroports de Moscou, créant un grand désordre et des files d’attente infinies, forçant des passagers en retard à passer à coté des portes de sécurité, sans pour autant être dérangés par les agents. Le président russe a exigé l’installation de matériels de sécurité dans les aéroports et le métro et des contrôles systématiques des passagers. Il a personnellement inspecté hier ce matériel testé à une station de métro centrale de Moscou. Cependant, comme le font remarquer des experts de la sécurité, il est à douter de l’efficacité de ces contrôles, qui sont une réponse inadéquate au problème du terrorisme, les auteurs des attentats pouvant simplement déplacer leur objectif vers un autre lieu public non-protégé, comme un centre commercial ou un autre endroit fortement fréquenté.

L’insuffisance des réponses des autorités russes face à la menace terroriste est symptomatique dans une Russie régulièrement sujette au terrorisme depuis plus de 15 ans. Les passagers qui attendent dans les files créées du fait du renforcement des contrôles de sécurité à l’aéroport de Domodedovo après l’explosion ne se sont d’ailleurs pas laissé berner, prévoyant que ce renforcement ne sera que passager et que, comme après chaque attaque, ces mesures seront vite abandonnées. La même opinion a été exprimée de manière plus virulente par les journaux et medias indépendants en Russie, qui critiquent profondément l’inertie et l’inefficacité des autorités russes, incapables de mettre en place un système efficace de lutte anti-terroriste et démunies face à la montée et la radicalisation des mouvements terroristes islamistes, en particulier dans les pays pauvres du Caucase du Nord.

Car bien qu’il n’existe pas de recette miracle dans la lutte anti-terroriste, il y a certains principes de base, qui manquent cruellement à la Russie. Ces principes incluent la transparence et la coopération au sein des organes de sécurité, ainsi que l’efficacité du système juridique. Le pays se trouve aujourd’hui doté de tout l’arsenal législatif nécessaire pour cette lutte, mais il reste malheureusement lettre morte, en premier lieu du fait de la profonde corruption à tous les échelons du système. Comment la corruption pourrait-elle coexister avec le développement économique et social de ces régions caucasiennes miséreuses, développement nécessaire pour priver les extrémistes de leurs soldats et supprimer les marchés d’armes où se fournissent les terroristes, alors même que dans la Russie d’aujourd’hui tout est monnayable ? Plus généralement, la lutte anti-terroriste implique un sens élevé de la justice et de la moralité de la nation, qui manque terriblement aujourd’hui au peuple russe. Ce défaut découle en partie d’une grande lassitude face au système et de l’absence d’une véritable démocratie, mais aussi de ce fatalisme qui caractérise l’âme russe, transcrit tout entier dans l’une des expressions les plus utilisées par les Russes : « C’est la vie ! ».