Le chef de l’Etat a confié à une commission dirigée par le magistrat Philippe Léger le soin de préparer la réforme de la procédure pénale et notamment d’examiner les risques de confusion dans le système actuel des pouvoirs d’enquête et juridictionnels. La dite commission est censée rendre son pré-rapport sur ce sujet le mois prochain. On voit mal pourquoi la dite commission continuerait à réfléchir puisque le président de la République semble avoir déjà tranché. En la matière comme sur tous sujets, la décision appartient désormais à l’Exécutif et l’Exécutif se résume à la seule personne du chef de l’Etat.
Habillage
Cette décision illustre une recette politique chère à Nicolas Sarkozy et qui peut se résumer d’une phrase : habiller tout recul d’une avancée concomitante en sorte de donner le sentiment du mouvement perpétuel. Comme tous les dirigeants, en effet, l’actuel président de la République est parfois obligé d’opérer une retraite tactique sur certains dossiers. C’est ainsi qu’il a dû, ici contraint par la rue, là forcé par les parlementaires, repousser aux calendes grecques la mise en œuvre de la réforme des lycées et l’ouverture des commerces le dimanche. Mais, à la différence de ses pairs, Nicolas Sarkozy, chaque fois qu’il doit reculer sur un dossier, avance précipitamment sur un autre afin de ne surtout pas donner à l’opinion le sentiment de l’inaction. Voilà une réforme de la justice bienvenue pour faire oublier le recul sur l’Education nationale ou sur le travail dominical.
En elle-même, la disparition du juge d’instruction est une décision qui ne devrait pas surprendre. Presque tous ceux de nos voisins européens qui fonctionnaient à l’identique du système français ont supprimé le juge d’instruction depuis longtemps (Allemagne, Italie, Portugal, Belgique…). En France ce magistrat supposé instruire à charge et à décharge mais qui opère de manière inquisitoriale a été très critiqué après les dérapages de l’affaire d’Outreau et, plus récemment, après l’interpellation musclée de l’ancien directeur de Libération, Vittorio de Filippis. Certains juristes, comme le professeur Mireille Delmas-Marty militent pour sa disparition à la condition que le Parquet devienne indépendant du pouvoir exécutif, d’autre souhaitent qu’en toute hypothèse l’instruction ne soit pas le fait d’un homme seul mais soit conduite de façon collégiale. C’est le vœu exprimé par l’ancien ministre de la Justice Michel Sapin.
Profond bouleversement
L’annonce faite par Nicolas Sarkozy n’est pas anodine. Passer du juge d’instruction au « juge de l’instruction » sans changer le statut du Parquet est un profond bouleversement de notre système pénal. Le juge d’instruction qui traite aujourd’hui des affaires les plus sensibles – autrement dit des grandes affaires criminelles et des affaires de corruption des milieux politiques et entrepreneuriaux - est un magistrat du siège, c’est-à-dire un juge nommé par le Conseil Supérieur de la magistrature, totalement indépendant du Garde des Sceaux. A l’inverse, les magistrats du Parquet sont nommés par le ministère de la Justice et soumis hiérarchiquement au ministre. Or, c’est à eux que reviendrait désormais la charge de conduire l’ensemble des enquêtes judiciaires sous le contrôle très hypothétique d’un juge de l’instruction chargé de veiller à leur bon déroulement.
D’où vient dès lors que la décision annoncée par Nicolas Sarkozy au mieux inquiète, au pire soit profondément choquante ? Tout simplement parce qu’il en va de l’indépendance même de la justice. Si la décision annoncée par Nicolas Sarkozy ne s’accompagne pas d’un changement de statut du Parquet, cela signifie que les affaires sensibles et notamment les affaires politico-financières ne ressortiront plus de la compétence d’un juge du siège, indépendant du ministre de la Justice mais d’un magistrat du Parquet soumis à l’autorité du Garde des Sceaux. En d’autres termes, cette réforme risque fort de se traduire par un renforcement de la tutelle du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire.
Renforcement de l’exécutif
Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres dossiers, le chef de l’Etat change de pieds et paraît de plus en plus soucieux d’accroître les prérogatives du pouvoir exécutif, pour ne pas dire son propre pouvoir. On se souvient qu’en 2007 le président souhaitait que les chaînes publiques aient la possibilité d’accroître leurs plages publicitaires afin de conforter leur indépendance financière. Outre qu’il a décrété depuis lors la suppression de la publicité sur le secteur public de l’audiovisuel, Nicolas Sarkozy a décidé qu’il nommerait lui-même désormais le président de France Télévision. On se souvient encore que la réforme constitutionnelle adoptée l’an passé était supposée renforcer les pouvoirs du Parlement face à l’Exécutif. Depuis, le chef de l’Etat a souhaité une réforme du droit d’amendement qui devrait permettre de reprendre d’une main ce qui est accordé de l’autre aux parlementaires.
Il en va exactement de même pour la Justice. Lors de sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait très justement souhaité « sortir de l’isolement le juge d’instruction » pour le faire « travailler en équipe ». Or, voici qu’il décrète la disparition des juges d’instructions au moment même où la Chancellerie vient à peine de regrouper ces derniers à grand frais dans des pôles d’instruction pour prévenir une solitude soulignée par la commission parlementaire qui avait enquêté sur le désastre judiciaire d’Outreau et pour satisfaire le vœu exprimé par le chef de l’Etat durant sa campagne présidentielle.