L’Union européenne est ainsi faite qu’elle n’avance pas d’une façon rectiligne, mais plutôt, comme le disait Montaigne, « à sauts et à gambades ». Une idée surgit, disparaît, reparaît. On l’examine, on la soupèse, on l’abandonne, on la remet en circulation. Jusqu’au jour où elle prend forme et s’impose dans la discussion publique. Il en va ainsi de l’idée d’un gouvernement économique européen, que François Hollande vient de relancer dans sa conférence de presse. Un gouvernement de la zone euro, propose-t-il, qui ait à sa tête « un véritable président » et qui soit appelé à débattre des principales décisions de politique économique, en particulier dans les domaines de la fiscalité et de la convergence sociale.
La perspective d’un tel gouvernement économique n’est pas neuve mais elle est revenue dans le débat européen il y a trois ans. « L’idée d’un gouvernement économique européen progresse parmi les Vingt-Sept », annonce Le Monde en mars 2010. Le correspondant du quotidien français souligne que même Angela Merkel s’y rallie, mais il note aussi que « les contours du gouvernement économique en gestation restent encore très flous ». L’eurodéputé Henri Weber, proche de Laurent Fabius, affirme dans Libération, deux ans plus tard, que l’ancien premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy a été le premier à employer l’expression en 1992. « C’était alors un mot tabou », rappelle-t-il, avant d’ajouter : « Nul n’en conteste plus le principe, pas même Angela Merkel. Le débat porte désormais sur son périmètre, ses fonctions, son architecture institutionnelle ».
La notion de « gouvernement économique » s’est ainsi substituée ainsi à celle, plus vague, de « gouvernance économique ». Dans un document publié en 2011 par la Fondation Robert-Schuman, un expert, Jean-François Jamet, estime que le terme de « gouvernance économique » est désormais « obsolète » et qu’il désigne un « système de coordination faible » dont chacun doit convenir qu’il n’est plus à la hauteur des enjeux. La bonne réponse est celle du « gouvernement économique », seul capable d’assurer une véritable coordination des politiques économiques. Le texte de Jean-François Jamet s’intitule d’une manière significative : « Gouvernement économique européen : la question n’est plus quand mais comment ».
Dans un livre paru en 2012 à La Documentation française sous le titre « L’Europe peut-elle se passer d’un gouvernement économique ? », le même auteur défend l’idée d’un gouvernement économique européen dont il attribue la paternité à François Mitterrand et dont il rappelle qu’elle a été reprise en août 2011, « dans une version très minimaliste », par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Selon Jean-François Jamet, il faut enfin « oser débattre publiquement du contenu à donner à un véritable gouvernement européen ».
C’est ce débat public que lance François Hollande en précisant les missions qu’il assigne à ce futur gouvernement de la zone euro et en formulant parallèlement d’autres propositions telles que la mise en place d’une communauté européenne de l’énergie ou l’attribution à la zone euro d’une capacité budgétaire et de la possibilité de lever l’emprunt. L’initiative du président français, qui veut « sortir l’Europe de sa langueur » et « réduire la désaffection des peuples », s’inscrit dans une réflexion déjà engagée au sein des institutions européennes pour renforcer l’harmonisation des politiques nationales. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et le président de la Commission, José Manuel Barroso, ont présenté des projets qui vont dans cette direction et qui nourrissent depuis plusieurs années la discussion entre les Etats membres.
Toutefois les divergences sont profondes entre les dirigeants européens sur le rôle d’un gouvernement économique et sur les conditions de sa création. L’Allemagne a toujours craint que cette idée, d’origine française, ait pour but principal de concurrencer la Banque centrale européenne et de menacer son indépendance. Aussi entend-elle en limiter étroitement les compétences. Sur le fond, l’harmonisation fiscale, la convergence sociale, la capacité d’emprunt, entre autres, voulues par François Hollande, sont loin de faire l’unanimité. Sur la forme, la révision institutionnelle envisagée est également source de discorde. Les uns insistent sur la responsabilité des Etats, les autres entendent préserver le pouvoir de la Commission. Il faudra beaucoup de temps aux Européens pour parvenir à un compromis. Le mérite de François Hollande est de les inciter à sortir du flou qui entoure l’avenir de l’Union mais aussi de rendre l’initiative à la France, en attendant les élections allemandes.