François Mitterrand face aux crises européennes

L’ancien président de la République a joué un rôle décisif dans la relance de l’Union européenne. Il s’est montré déterminé dans la crise des euromissiles. En revanche, il a paru hésitant face à la réunification allemande, dont la rapidité l’a surpris et inquiété.

Au moment où le double septennat de François Mitterrand fait l’objet de nombreuses commémorations, trente ans après l’élection du premier président socialiste de la Vème République, le bilan de la diplomatie mitterrandienne suscite à la fois des louanges et des réserves.

On mentionnera pour mémoire quelques-unes des initiatives les plus significatives de l’ancien président, telles que le discours de Cancun (bien qu’il fût prononcé à Mexico) sur l’avenir du tiers-monde en 1981, celui de la Knesset sur le droit des Palestiniens à une patrie et, « le moment venu », à un Etat en 1982 ou celui de La Baule sur la démocratie en Afrique en 1990. On rappellera aussi l’engagement de la France dans la guerre du Golfe en 1991.

Mais on retiendra surtout l’attitude de François Mitterrand face à trois crises dans lesquelles il a joué un rôle majeur, jugé positif par les uns, négatif par les autres : la crise des euromissiles en 1983, la crise de la construction européenne en 1984, la crise de la réunification allemande en 1990. Autant il s’est montré déterminé dans la première, patient et méthodique dans la deuxième, autant il a donné, dans la troisième, l’impression de tergiverser.

Les pacifistes à l’Ouest, les euromissiles à l’Est

La crise des euromissiles, en 1983, est l’occasion pour François Mitterrand d’afficher son étroite solidarité avec l’Allemagne face aux pressions soviétiques. Alors que se multiplient les manifestations pacifistes contre l’installation de missiles américains dans plusieurs pays d’Europe destinées à faire pièce aux fusées soviétiques, le président français lance à Bruxelles cette phrase demeurée fameuse : « Je suis moi aussi contre les euromissiles , seulement je constate que les pacifistes sont à l’Ouest et les euromissiles à l’Est ».

Auparavant, Bonn, devant le Bundestag, il a affirmé : « Seul l’équilibre des forces peut conduire à de bonnes relations avec les pays de l’Est, nos voisins et nos partenaires historiques ». Au nom de cet équilibre, il refuse « le dangereux découplage entre le continent européen et le continent américain ». Ronald Reagan, alors président des Etats-Unis, lui exprime son « admiration » pour un discours qui « renforce l’Alliance ». Le chancelier allemand, Helmut Kohl, se félicite de la position française. François Mitterrand n’a pas craint de se désolidariser des sociaux-démocrates allemands pour défendre, dit-il, les intérêts de la France. Ce geste contribuera à asseoir son autorité d’homme d’Etat sur la scène internationale. 

Relance de la construction européenne

La crise de la construction européenne va mettre à l’épreuve la ténacité du président français. Avec Jacques Delors à la présidence de la Commission européenne et Helmut Kohl à la tête du gouvernement allemand, il s’emploie à relancer une communauté européenne largement bloquée. Ce sera l’Acte unique en 1985 puis le traité de Maastricht en 1991, qui créera la monnaie unique. L’impulsion décisive donnée par François Mitterrand à l’union de l’Europe peut être considérée, avec le recul, comme l’une des principales réalisations de son double septennat – qu’on l’approuve au nom de la fidélité à l’idéal européen ou qu’on la condamne par hostilité aux « dérives néolibérales » de l’Europe de Maastricht.

C’est au Conseil européen de Fontainebleau, sous présidence française, en 1984 que l’accord conclu avec Margaret Thatcher sur la contribution financière de la Grande-Bretagne rend possibles les avancées ultérieures, c’est-à-dire la création d’une Union européenne fondée sur l’achèvement du marché intérieur, la réforme des institutions communautaires et l’esquisse d’une politique extérieure commune. La suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’Union, en vertu des accords de Schengen, apparaît comme l’un des symboles d’une relance voulue et stimulée par François Mitterrand.

Malaise sur la réunification allemande

Sur la réunification allemande, la position du président français semble moins ferme. Son apparente hésitation lui sera reprochée par ses adversaires. Interrogé en juillet 1989, quatre mois avant la chute du mur de Berlin, en présence de Mikhaïl Gorbatchev, il déclare que « l’aspiration à l’unification est une aspiration légitime ». Quelques jours plus tard, il précise que l’unité devra se réaliser « pacifiquement et démocratiquement ».

Mais en octobre il juge que « la réunification de l’Allemagne n’est pas pour demain ». Il ajoute que « de toute manière la France ne serait pas en mesure de s’y opposer ». L’enthousiasme, à l’évidence, n’y est pas. François Mitterrand redoute que la réunification ne provoque en URSS une réaction qui déstabilise Mikhaïl Gorbatchev. Il craint également que l’Allemagne réunifiée ne se détourne de l’Union européenne. Aussi insiste-t-il pour renforcer la construction de l’Europe. Il propose aussi la mise en place d’une Confédération européenne ouverte aux pays de l’Est, mais non aux Etats-Unis, ce qui voue le projet à l’échec.

Visite inopportune en Allemagne de l’Est

En décembre, François Mitterrand aggrave son cas en se rendant en Allemagne de l’Est. Il affirme : « République démocratique allemande et France, nous avons encore beaucoup à faire ensemble ». Cette déclaration est interprétée comme une marque d’hostilité à la réunification. La rencontre avec le premier ministre Hans Modrow passe pour un soutien au régime. « On aurait mieux fait d’annuler ce voyage, dira Hubert Védrine, son conseiller diplomatique d’alors, car il tombait mal ».

Le comportement de François Mitterrand confirme qu’il ne veut pas d’une réunification rapide. Surtout il y met une condition impérative : la reconnaissance par l’Allemagne réunifiée de sa frontière avec la Pologne. « La question la plus importante, expliquera-t-il à Helmut Kohl, c’est l’Oder-Neisse. Je comprends, sentimentalement, ce que doivent ressentir les Allemands. Mais politiquement c’est autre chose ». Dans ses notes posthumes, De l’Allemagne, de la France (Editions Odile Jacob, 1997), il souligne que chacune des grandes puissances s’arc-boutait sur « ce qu’elle estimait être « sa » condition prioritaire, c’est-à-dire la plus conforme à ses intérêts ». Il ajoute : « J’attachais, de mon côté, la prédominance à la reconnaissance préalable des frontières ».

La tension est vive entre la France et l’Allemagne, qui finit par céder. L’accélération des événements balayera bientôt ces querelles. François Mitterrand se défendra d’avoir « raté le train de l’unité allemande », comme l’en accusera Valéry Giscard d’Estaing, pour « n’avoir pas sauté, les yeux fermés, dans le premier wagon ». A Helmut Kohl il dira : « Si j’étais allemand, je serais pour la réunification, c’est du patriotisme. Mais étant français je n’y mets pas la même passion ».

L’ancien président de la République a joué un rôle décisif dans la relance de l’Union européenne. Il s’est montré déterminé dans la crise des euromissiles. En revanche, il a paru hésitant face à la réunification allemande, dont la rapidité l’a surpris et inquiété.