Ban Ki-moon a ouvert la séance à 9 heures devant une quarantaine de délégations, soulignant la difficulté à réunir les deux délégations depuis la première conférence de Genève qui a eu lieu le 30 juin 2012. Il a été suivi par Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et le secrétaire d’Etat américain John Kerry.
Le décor a été planté dès le départ avec la présentation de positions et d’objectifs divergents qui expriment une interprétation contradictoire des conclusions de la première conférence. Pour la partie russe, il est exclu de prévoir une transition sans Bachar el Assad. « Le départ de Bachar el Assad est une ligne rouge », a renchéri de son côté Walid Mouallem. Alors que John Kerry rappelait l’accord russo-américain de juin 2012 qui prévoit « un gouvernement de transition avec tous les pouvoirs exécutifs », ce qui exclut Bachar el Assad. De son côté, Ahmed Jarba faisait un rappel historique de la révolte contre le régime qui de pacifique a fini par se militariser en raison de la répression féroce conduite par le régime au pouvoir.
Ce sont ensuite tour à tour les ministres des Affaires étrangères des cinq pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi que les ministres allemand, saoudien et d’autres pays arabes, qui ont pris la parole avant la clôture par le secrétaire général de l’ONU.
Comme prévu, les deux protagonistes se retrouveront à Genève vendredi pour discuter d’un cessez-le-feu, d’échanges de prisonniers et d’ouverture de couloirs humanitaires.
Mais pour nombre d’observateurs, l’application de ces résolutions restera limitée en raison de la présence sur le terrain de groupes armés qui ont refusé la négociation.
Parallèlement à cet événement, la presse a fait état de négociations entre les pays occidentaux et le régime syrien. Elles porteraient essentiellement sur un échange d’informations sur les otages détenus en Syrie mais aussi sur la présence de combattants occidentaux, qui ont rejoint la rébellion islamiste, dont le nombre est estimé à 2000. Les gouvernements concernés disposent d’informations fiables, en provenance de « repentis » islamistes, selon lesquelles certains groupes se préparent à organiser des attentats une fois de retour dans leurs pays d’origine.
Ces informations vont certainement peser sur la suite des négociations et le régime syrien, qui se fait fort de combattre les mouvements islamistes salafistes, espère tirer profit de la position de force qu’il est en train d’acquérir sur le terrain face à une opposition de plus en plus divisée et désorganisée.
L’enjeu des prochaines négociations : l’aide humanitaire et l’après Assad
Toutefois, selon un membre de l’opposition syrienne en contact avec des responsables américains, les Etats-Unis et la Russie semblent travailler de concert à la définition d’un cadre pour la période de transition. Ce plan permettrait aux représentants de la communauté alaouite (10 à 12 % de la population) de conserver leur prééminence historique – qui date du mandat français (1920-1946) – au sein de l’armée et de l’appareil de sécurité, ce qui les préserverait d’éventuelles représailles et favoriserait la création d’un front uni contre al-Qaëda avec l’intégration de brigades rebelles modérées au sein d’une armée réformée.
Selon un responsable occidental, les Etats-Unis et la Russie ont commencé à examiner ensemble quels responsables syriens, et jusqu’à quel niveau de responsabilité, pourraient être conservés dans une phase de transition. Un ancien officier des services de renseignement syriens, Afak Ahmad, qui a rompu avec le régime en 2011 et qui est désormais en contact avec des responsables américains et russes, affirme que Moscou exige la présence d’un alaouite à la tête de l’armée quelle que soit la forme que prendra la transition. « La Russie ne s’accroche pas à Assad mais la ligne rouge c’est la préservation de l’armée syrienne. Elle juge que, avec une expérience de plus 50 ans au sein de l’armée et de l’appareil de sécurité, les alaouites sont les mieux placés pour combattre les activistes islamistes. La solution politique doit être progressive et impliquer une direction collégiale. Si les alaouites ont la garantie qu’il n’y aura pas de représailles contre leurs vies et leurs biens, ils accepteront qu’Assad et le premier cercle de ses collaborateurs s’en aillent », précise-t-il.
Cette évolution traduit un changement de priorités des pays occidentaux, en particulier des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, aux yeux desquels la lutte contre l’expansion de l’islamisme radical au Proche-Orient l’emporte désormais sur la volonté d’un changement de régime à Damas. Ce basculement suscite des tensions entre les différentes puissances soutenant la révolte contre Bachar el-Assad. Il pourrait cependant permettre un rapprochement avec la Russie, qui s’est constamment opposée au Conseil de sécurité de l’ONU à toutes les tentatives diplomatiques de mise à l’écart de Bachar el-Assad.
Il faut rappeler que des élections présidentielles doivent se dérouler au mois de mars et que le président Assad a récemment annoncé qu’il se présentera pour un troisième mandat de sept ans. L’enjeu des négociations qui s’ouvrent vendredi est donc le suivant : quelle Syrie après Assad ?
Mais avant cela, les deux parties devront faire preuve de bonne volonté et faciliter l’aide humanitaire avec un arrêt des combats. Car le bilan est accablant : plus de 130 000 morts, 2,4 millions de réfugiés, 4,2 millions de réfugiés attendus en 2014, près de 9,3 millions de personnes, soit la moitié de la population, a besoin d’une aide humanitaire urgente, et près de la moitié d’entre elles sont des enfants, 245 000 Syriens vivent assiégés dans leur propre pays et font face à des difficultés extrêmes, dont une grave pénurie en vivres. Les pertes subies par l’économie syrienne atteignaient 103 milliards de dollars fin juin 2013, soit l’équivalent de 174 % du PIB atteint en 2010, selon un rapport publié par le Syrian Center for Policy Research (SCPR), en collaboration avec l’ONU.
Seulement 2,4 milliards de dollars ont été promis lors de la réunion des donateurs qui s’est réunie récemment au Koweït, alors qu’on avait évalué les besoins à trois fois plus. Mais si les négociations qui reprennent vendredi à Genève aboutissent à un accord a minima, l’ONU espère créer une dynamique plus favorable qui favoriserait un accord politique.