« Glasnost » à la nord-coréenne

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

Il se passe des choses étranges en Corée du Nord, une des dernières dictatures communistes de la planète. La situation est scrutée par les voisins et rivaux sud-coréens qui interprètent les signes pour comprendre le pays le plus fermé du monde. Kim Jong-un a succédé, il y a quelques mois, à son père, Kim Jong-il, lui-même héritier du fondateur du régime, Kim Il-sung. On ne connaît pas son âge exact, ni sa situation de famille. La présence d’une jeune femme à ses côtés, lors d’une récente cérémonie officielle, a intrigué les observateurs. Est-ce sa femme, sa petite amie ou sa sœur ? Mystère. On sait que le jeune homme a fait des études en Suisse. On suppose donc qu’il parle quelques langues étrangères et on en conclut qu’il est un peu plus ouvert sur le monde extérieur que ses ancêtres.

Les spécialistes de la Corée du Nord ont d’ailleurs noté que les mini-jupes et les talons hauts ont fait leur apparition dans les rues de la capitale Pyongyang. Les marchés « libres » semblent se développer dans un pays qui a connu de terribles famines. Kim Jong-un, lui-même, a assisté récemment à un concert de musique « occidentale » donné par un groupe de jeunes femmes, entourées de poupées représentants Mickey Mouse et des personnages de Walt Disney. Un quasi-sacrilège au pays Kim Il-sung, « Grand leader » et « président éternel ».

Est-ce suffisant pour parler de « glasnost », comme le fait un expert sud-coréen, en référence aux réformes menées au milieu des années 1980 par Mikhaïl Gorbatchev, qui devaient entrainer la chute de l’URSS ? C’est peut-être aller un peu vite en besogne. La « glasnost » soviétique était caractérisée par une ouverture vers la liberté d’expression. Rien de tel, jusqu’à maintenant, en Corée du Nord. Si Kim Jong-un a l’intention de changer le système hérité de ses père et grand-père, il s’y prend avec les méthodes des régimes autoritaires. Il coupe les têtes – au moins symboliquement. Le vice-maréchal Ri Yong-ho que Kim Jong-il avait désigné comme le mentor du jeune Kim Jong-un, est le premier à en faire les frais. Chef d’état-major des armées et membre du présidium du bureau politique du PC nord-coréen, il vient d’être démis de toutes ses fonctions « pour raison de santé ».

Une pratique qui a fait ses preuves dans les régimes communistes. Rien de nouveau non plus dans la politique extérieure de la Corée du Nord qui continue de lancer de violentes diatribes contre sa voisine du sud, suppôt de l’impérialisme américain, quand elle ne la vise pas avec des tirs de fusées plus ou moins bien ajustés. Et Pyongyang vient de refuser une concession mineure à Washington sur son programme nucléaire qui lui aurait pourtant permis d’obtenir une aide alimentaire ô combien nécessaire.

Toutefois ce maintien d’une ligne dure à l’extérieur n’est pas en soi contradictoire avec l’hypothèse d’une ouverture intérieure. Au contraire. Si Kim Jong-un a l’intention de desserrer un peu l’étau sur ses concitoyens, il lui faut ménager ses arrières, s’assurer de la fidélité de l’armée et de la police politique, et consolider son propre pouvoir. Comment mieux y parvenir qu’en dénonçant l’ennemi extérieur ?

La prudence commande donc d’attendre avant de porter un jugement sur le degré de changement que le jeune président nord-coréen est en mesure d’introduire dans un système momifié depuis des décennies. Il a, proche de lui, le modèle chinois : ouverture économique et autoritarisme politique, qui peut le tenter. Mais plus proche encore la Corée du sud. Et là, il ne s’agit plus d’un modèle, mais d’une menace, s’il ouvre les vannes trop fort et trop vite.