Grèce : les ingrédients de la crise

Deux questions, sans réponse, se posent à propos des désordres qui viennent de frapper les villes grecques : pourquoi la Grèce ? et est-ce un avant-goût de ce qui attend d’autres sociétés européennes ? Il est difficile de répondre à ces questions mais il est possible de tenter, non une explication de ce qui s’est vient de se passer, mais une première approche des ingrédients présents dans la crise.

Il existe à Athènes et ailleurs un petit groupe d’anarchistes et d’extrémistes prêt à exploiter toute les occasions pour s’affronter avec les forces d"’en face". La mort sous les balles des policiers du jeune Alexandros Grigoropoulos a été ce prétexte. Moins d’une heure après le drame, les manifestations commençaient, les cocktails Molotov étaient prêts. Des « casseurs » de toutes sortes en ont profité pour se joindre au mouvement.

"Chômeurs-docteurs"

Toutefois les autorités auraient tort de se contenter de cette lecture superficielle des événements. L’explosion de violence est l’expression d’un mécontentement allant bien au-delà des quelques centaines, voire quelques milliers, de manifestants. Et ce ne pas sont les enfants des quartiers les plus défavorisés, comme en France, qui manifestent mais les rejetons de la classe moyenne, qui poursuivent des études, sont diplômés mais ne trouvent pas de travail à la sortie de l’Université. C’est une des raisons pour lesquelles ils y restent plus longtemps que dans beaucoup d’autres pays européens.

La situation d’étudiant est relativement confortable en Grèce. Comme dans certains pays sous-développés, l’Université produit des « chômeurs-docteurs », qui sont d’autant plus frustrés qu’ils sont beaucoup plus éduqués que leurs pères. Après cinq ans d’études supérieures et plus, ils se retrouvent avec des salaires de 600 € qui ne leur permettent pas de vivre de manière autonome dans un pays où les prix atteignent les niveaux de l’Europe occidentale.

Une modernisation à marche forcée

Certes, la Grèce s’est rapidement modernisée au cours des dernières années. Trop rapidement peut-être. Elle a vécu en condensé un processus de transformation d’un pays agricole à une insertion dans la mondialisation qui, ailleurs, a duré des décennies. Ici la transformation a eu lieu en une génération. La Grèce est entrée à marche forcée dans la zone euro comme les autres en 2002, alors qu’elle n’y était pas vraiment prête. Les manipulations statistiques qu’il a fallu faire alors se vengent aujourd’hui. Les subventions reçues de l’Union européenne depuis l’adhésion de 1981 ont servi à moderniser les infrastructures, y compris dans les îles les plus reculées, et à payer des aides directes à différentes catégories de la population, mais elles n’ont pas été vraiment utilisées pour construire une base économique pérenne.

Chape de plomb

Elles n’ont pas combattu le système ancestral de corruption et de clientélisme, elles l’ont renforcé. Si l’on ajoute que la structure politique semble immuable, avec l’alternance au pouvoir de quelques grandes familles, les Caramanlis, Papandréou ou Mitsotakis, dont les représentants étaient déjà au pouvoir dans les premières années de l’après Deuxième guerre mondiale, on comprend que les perspectives de renouvellement paraissent bloquées à beaucoup de jeunes.

La Grèce est sortie des Balkans mais elle n’en a pas abandonné toutes les caractéristiques. A quoi se superpose le mythe de la Grèce antique, de cette descendance illustre et largement usurpée, qui ne fait qu’accentuer le contraste avec les dures réalités actuelles, et font croire à une majorité de Grecs que leurs difficultés sont le résultat d’un "complot" international.