Guerre à Gaza, la France sous tension

Plus le temps passe et plus se prolonge l’opération militaire israélienne « Plombs durcis » à Gaza, plus s’accroissent les risques d’une transposition du conflit dans la société française et plus augmentent de manière préoccupante les tensions qu’elle engendre entre communautés.

Les pouvoirs publics condamnent les actes de violence qui se sont produits ces derniers jours contre des synagogues mais aussi contre des lycéens d’origine maghrébine. Les responsables religieux juifs et musulmans appellent au calme. Les associations s’efforcent de favoriser le dialogue. Les élus font preuve de la plus grande vigilance. Des enseignants modifient leur cours pour expliquer à leurs élèves les racines du conflit israélo-palestinien. Il n’empêche. Le risque d’une transposition du conflit dans la société française est réel. Cette importation est indue. Elle est dangereuse. Rien ne saurait la justifier. Elle s’explique cependant de part et d’autre.

La France est le pays européen qui possède la communauté juive la plus importante et la communauté musulmane la plus nombreuse. Il n’est pas étonnant que l’une et l’autre soient particulièrement sensibles aux événements qui se déroulent au Proche-Orient. Ces solidarités respectives n’ont rien de scandaleux. Elles sont légitimes. La communauté juive redoute la vulnérabilité supposée de l’Etat d’Israël et partage avec ses habitants le complexe de Massada, en référence à l’encerclement de la citadelle isolée de Judée, entourée par des peuples hostiles, assiégée en 73 de notre ère par les légions romaines. De leur côté, les musulmans de France ressentent comme une véritable humiliation la tragédie palestinienne, l’impuissance du monde arabe à l’empêcher et la passivité des pays occidentaux à faire respecter les résolutions des Nations-Unies. 

Dérives extrémistes

Outre ces reflexes compréhensibles de solidarité des deux côtés, il est des raisons particulières à chaque communauté qui expliquent également cette montée de la tension.

La communauté israélite a conservé le souvenir douloureux des actes antisémites qui, dans les années 2000, ont suivi en France la seconde intifada. Les jets de coktails Molotov contre deux synagogues (Schiltigheim et Saint-Denis) lui font craindre à juste titre un retour de ce climat détestable. De leur côté, les jeunes beurs des quartiers difficiles vivent à travers les Palestiniens leurs propres frustration. A Gaza c’est un peuple privé de reconnaissance étatique qui souffre dans sa chair. Ici ce sont des populations que la République peine à intégrer qui souffrent socialement.

De part et d’autre enfin, existent des extrémistes prompts à souffler sur les braises, heureusement encore minoritaires mais dont les agissements pourraient se développer au fil des jours. Ainsi a-t-on vu, lors des premières manifestations, des frères musulmans barbus encourager les violences en fin de parcours, place Saint-Augustin à Paris aux cris d"’Allah hu Akbar". De même, des militants de la Ligue de défense juive ont-ils violement agressé et blessé des élèves d’origine tunisienne à la sortie du lycée Jeanson-de-Sailly à la fin de la semaine dernière.

Inertie européenne

L’inertie de l’Union européenne et l’action diplomatique quelque peu brouillonne de la France ne contribuent pas à apaiser les tensions.

Comme le note à juste titre Valéry Giscard d’Estaing dans un entretien accordé au quotidien le Monde (13.01.09) : « l’Union européenne est le premier donneur d’aides à la Palestine. Rien ne l’empêchait dans le conflit israélo-palestinien de décider de continuer d’acheminer, sous sa propre responsabilité, son aide humanitaire. Elle ne l’a pas fait ». A quoi l’on pourrait ajouter : l’Union Européenne est le premier partenaire commercial d’Israël ; rien ne l’empêchait de menacer l’Etat Hébreu de rétorsions commerciales s’il ne mettait pas un terme à l’opération terriblement meurtrière qu’il a déclenché contre Gaza !

De son côté, le président français a bien effectué un voyage éclair au Proche-Orient mais qui a semblé ressortir davantage de la gesticulation médiatique que de la diplomatie efficace. On ne peut sans doute pas reprocher à Paris une action diplomatique partisane et déséquilibrée dans les faits. Elle semble toutefois l’être dans son expression publique et donne parfois l’impression malheureuse d’être plus complaisante à l’égard d’Israël et plus sévère à l’encontre des Palestiniens et du Hamas.

Or, aujourd’hui, par-delà la complexité du conflit israélo-palestinien, les faits sont là et il faut les nommer pour ce qu’ils sont sans prétendre juger du comportement des uns ou des autres : une armée opère une action punitive menée à des fins pour partie électorales, sans témoins et sans caméras, sur le territoire de Gaza, sorte d’immense prison à ciel ouvert. Le coût humain est monstrueux : près de 1000 morts, pour la majeure partie des civils, des hôpitaux croulant sous les blessés qu’il n’est plus possible de soigner, des populations qui tentent vainement de fuir les bombes et une situation humanitaire qui rappelle celle de Grozny lors de l’intervention russe.

Le gouvernement français n’a pas tort de condamner toute importation du conflit sur le territoire national. Mais, faute de pouvoir l’empêcher ou du moins de l’arrêter de l’autre côté de la Méditerranée, qualifier cette opération pour ce qu’elle est et appeler un chat un chat aideraient peut-être aussi paradoxalement à apaiser les tensions !