Guerre et paix en Corée

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

Après avoir réussi un essai nucléaire, le régime communiste de Pyongyang a menacé les Etats-Unis d’une frappe avec un engin miniaturisé, il a coupé le « téléphone rouge » qui reliait les deux Etats de péninsule coréenne afin d’éviter les incidents fortuits sur la ligne d’armistice de 1953 et brandi le spectre de représailles contre les manœuvres conjointes américano-sud-coréennes. Il y a longtemps que l’escalade, en grande partie verbale jusqu’à maintenant, n’avait pas atteint cette intensité dans la Corée divisée.

Certaines décisions annoncées par Kim Jong-un, le jeune « leader bien aimé » qui a succédé à son père Kim Jong-il en décembre 2011, sont des mesures de rétorsion après que le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté un renforcement des sanctions en signe de protestation contre le dernier essai nucléaire effectué par la Corée du Nord. Mais d’autres décisions sont la preuve d’un durcissement très net du régime qui peut s’expliquer aussi par son isolement croissant. La Russie et surtout la Chine sont les dernières alliées de Pyongyang. Or Moscou et Pékin ont voté le renforcement des sanctions de crainte d’une prolifération des armes nucléaires dans la région.

Les Chinois restent les principaux soutiens du régime dictatorial de Corée du Nord car ils craignent qu’un effondrement du système ne provoque des soulèvements populaires et une vague d’immigration dont ils seraient les premières victimes. Ils sont les premiers clients et premiers fournisseurs de leurs voisins immédiats. En même temps, ils n’ont aucun intérêt à la montée de la tension dans la péninsule coréenne, alors qu’ils ont déjà des relations difficiles avec le Japon et avec certains pays du sud-est asiatique pour des îlots contestés.

La rhétorique belliqueuse fait partie du registre traditionnel des dirigeants nord-coréens depuis Kim Il-sung, le fondateur du régime qui déclencha la guerre de Corée en 1950. Il faut cependant la prendre au sérieux dans la mesure où un incident sur la ligne de démarcation ou dans les îles voisines peut dégénérer et entraîner, au-delà des deux Corées, les grandes puissances de la région – Chine, Etats-Unis, Russie, Japon – dans un affrontement qu’elles veulent à tout prix éviter.

La montée de la tension est d’autant plus surprenante que l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un avait soulevé des espoirs de réforme du régime nord-coréen, aussi bien à Pékin qu’à Séoul. Les spécialistes de la Corée du Nord, qui ressemblent aux kremlinologues d’antan, se seraient-ils totalement fourvoyés ? C’est possible mais ce n’est pas sûr. La posture va-t-en-guerre de Kim Jong-un pourrait n’être qu’une manière détournée d’atteindre des buts politiques.

D’abord à l’intérieur de la Corée du Nord elle-même. Il n’est pas évident que l’arrivée au pouvoir de ce jeune homme, sans expérience politique, en partie éduqué en Occident, qui n’hésitait pas à montrer sa jeune femme en public dans des tenues élégantes, ait été bien vue par la vieille garde communiste. Pour s’affirmer, Kim Jong-un a besoin de renforcer sa position non seulement dans le Parti mais dans l’armée. Quel meilleur moyen que de susciter une ferveur guerrière et nationaliste autour de lui ?

Vis-à-vis de l’extérieur, ensuite. Un des principaux objectifs des dirigeants nord-coréens a toujours été de garantir la pérennité du régime contre l’ennemi extérieur (sud-coréen et américain) et en même temps d’être reconnus par Washington comme un interlocuteur. Quelques célèbres basketteurs américains ont récemment fait le voyage de Pyongyang. Ils en sont revenus avec un message de Kim Jong-un : « Il veut une seule chose : que Barack Obama l’appelle au téléphone ». Le président américain n’en fera rien dans les circonstances actuelles. Mais un ancien ambassadeur des Etats-Unis à Séoul, partisan du dialogue, rappelle une phrase du secrétaire d’Etat John Kerry : « nous n’avons pas d’ennemis permanents ». Les bruits de bottes nord-coréens ne seraient alors qu’une manière pour Kim Jong-un de se rappeler au bon souvenir des « impérialistes » pour les inviter à négocier. Une manière bien particulière et plutôt dangereuse, celle d’un apprenti-sorcier.