Guy Môquet, une voix dans le désert

Francis Rosenstiel, ambassadeur de bonne volonté du Conseil de l’Europe et président-fondateur du Forum pour l’Europe démocratique, commente les débats français autour de la lecture dans les classes de la lettre de Guy Môquet le jour anniversaire de sa mort (22 octobre 1941). 

Que se passe-t-il donc dans cette bonne vieille France qui sait si bien se parer de toutes les vertus, fut-ce à retardement, voire en différé ? D’où viennent donc ces insupportables contorsions quant au mode et à l’obligation, ou non, de lire la lettre de Guy Môquet ? La liberté de s’abstenir ne reflète-telle pas précisément cette inadmissible propension de beaucoup qui se turent sous Vichy, lorsqu’ils ne collaborèrent pas activement ?

Cet appel dans le désert d’un jeune résistant à quelques pas du peloton qui allait faire feu non seulement sur lui mais d’une même salve, pensait l’ennemi, sur l’esprit de Liberté.

De discours présidentiel, circulaires, "bémols" et gloses ministérielles ou plus ou moins anonymes, la manière dont "tousse" notre société vaut bien toutes les préoccupations grippales, car cet angoissant phénomène français n’est pas que saisonnier !

Qu’elle vienne d’un militant communiste ou non, d’un prêtre ou d’un laïc, la lettre de Guy Môquet porte un message universel et permanent. Ce message-là n’est pas "optionnel", pas plus que le devoir de résistance à la dictature, même à celle du confort et de l’indifférence. Les bambins et les élèves de nos classes ont encore la capacité de s’émouvoir et de comprendre, davantage que les agitations scintillantes de leurs inséparables consoles de jeux !

Faut-il attendre que les classes défilent de la" Nation" à la "République" pour réclamer, toutes bannières déployées, la lecture en classe, voire en public, de la lettre du pauvre supplicié de la Résistance ? Faudra-t-il attendre que le cortège des "Justes des Nations", qui ont sauvé des Juifs durant la guerre, ou leurs survivants, forment aussi cortège pour ponctuer d’un instant la France de l’oubli et de la démission ?

Que de cortèges de fantômes en formation ! Mais où serait le sacro-saint service d’ordre ?

Je suis un "Européen" militant, échappé de la tourmente nazie, convaincu de la solidité du socle qu’est devenue la coopération fanco-allemande, je ne comprendrais guère que la jeunesse allemande perçoive mieux que nos propres enseignants, voire nos propres élèves, la portée universelle de la lette de Guy Môquet. En la matière, l’inspiration de la chaîne "Arte" est un exemple à méditer, il complète bien des monuments.

Si les symboles pouvaient plaider la légitime défense dans le grand prétoire de notre France européenne, face à l’auditoire des enseignants et des élèves réunis, la lettre de Guy Môquet s’imposerait comme, en d’autres temps, les voix de Charles de Gaulle et d’André Malraux. Il faut encore des Voix, fût-ce dans tous les déserts !