Le succès de Yukio Hatoyama au Japon a de quoi rendre courage à … François Bayrou. Le nouveau chef du gouvernement japonais vient en effet de gagner les élections au terme d’un parcours qui ressemble à celui que tente de suivre en France le président du Modem. Le Parti démocrate, dont M. Hatoyama est le chef depuis la démission de son fondateur, Ichiro Ozawa, a été créé en 1996 en rassemblant à la fois des transfuges du Parti libéral-démocrate (PLD), la grande formation de droite au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, et du Parti socialiste, traditionnel pilier de l’opposition peu à peu marginalisé par son refus de rompre avec les vieux dogmes du marxisme.
En treize ans, le Parti démocrate japonais a réussi à évincer ses deux grands rivaux, en s’installant au centre gauche de l’échiquier politique et en mettant à profit les difficultés économiques qu’a connues le Japon depuis les années 90 et que la crise a amplifiées : une croissance faible, une taux de chômage record, des inégalités accrues, un niveau de vie en baisse. La volonté de changement l’a emporté dans l’électorat nippon sur la fidélité au vieux Parti libéral mais c’est le jeune Parti démocrate de M. Hatoyama qui en a bénéficié, faute pour les sociaux-démocrates d’offrir une solution de rechange crédible. Oui, décidément, M. Bayrou peut se réjouir.
Liberté, égalité, fraternité
Certes le Japon n’est pas la France et il serait imprudent de conclure que ce qui s’est passé à Tokyo pourrait se reproduire à Paris. Pourtant le nouveau premier ministre japonais est jugé par les observateurs moins éloigné de l’Europe, voire de la France, que ses prédécesseurs. Jean-Marie Bouissou, directeur de recherches au Centre d’études et de recherche internationales (CERI-Sciences Po), estime que M. Hatoyama « se sent plus proche des Européens que des Américains » (conférence à l’Institut français des relations internationales le 17 septembre). Un article de Newsweek le compare même à un intellectuel du Quartier latin.
Le nouveau premier ministre japonais n’hésite pas à se réclamer, dans un article publié par le New York Times (reproduit par Boulevard Extérieur, voir lien ci-dessus), de la devise de la République française « liberté, égalité, fraternité ». Il rend également hommage à la construction européenne, qu’il donne en exemple. M. Hatoyama sera-t-il un partenaire actif de l’Europe ? Il est trop tôt pour le dire. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, n’en vient pas moins de saluer chaleureusement le chef du gouvernement japonais en soulignant leurs convergences. M. Yatoyama n’a-t-il pris quelque distance avec les Etats-Unis en dénonçant le « fondamentalisme du marché » et en prônant une politique de rupture avec le néolibéralisme ?
A la recherche d’un nouveau modèle économique et social
Sans doute la politique étrangère de Tokyo restera-t-elle tournée vers Washington et vers Pékin mais l’Europe a, semble-t-il, une bonne carte à jouer auprès des nouveaux dirigeants à la recherche d’un nouveau modèle économique et social. Reste à savoir si M. Hatoyama sera capable de tenir ses engagements de campagne et de répondre aux espoirs qu’il a suscités dans la population, même si celle-ci, selon M. Bouissou, n’est pas dupe des promesses électorales et ne nourrit pas « d’attentes irréalistes ».
Il faudra du temps au nouveau gouvernement, pense Evelyne Dourille-Feer, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), pour relancer la croissance en la recentrant sur la demande interne, par le moyen d’une série d’incitations financières et d’allègements fiscaux, alors que l’endettement reste considérable. Politiquement, l’un des gestes forts de M. Hatoyama devrait être le gel de la privatisation de la poste, au nom de la défense du service public et du lien social. Un thème qui est aussi au centre de nombreux débats en Europe.