Le vieil adage « les ennemis de nos ennemis sont nos amis » ne vaut pas pour François Hollande. En tous cas, pas toujours. Dans son discours à la conférence des ambassadeurs, jeudi 28 août, le président de la République a longuement parlé de la situation au Moyen-Orient et de la menace représentée par l’Etat islamique (EI). Comment la combattre ? Il a d’abord répété ses regrets qu’à l’été 2013, l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad ait été laissée sans réponse. Aujourd’hui, face à l’avancée des djihadistes de l’EI qui rêvent d’installer un « califat » à cheval sur la Syrie et l’Irak, le dictateur de Damas se présente volontiers comme un partenaire indispensable. C’est non, a assuré François Hollande. « Bachar el-Assad ne peut être un partenaire de la lutte contre le terrorisme, c’est l’allié objectif des terroristes », a-t-il dit. La position des Etats-Unis est officiellement la même mais les Américains, qui ont repris leurs bombardements en Irak, se demandent comment vaincre l’EI sans le frapper aussi en Syrie et comment bombarder sans information voire sans autorisation du gouvernement de Damas.
Un autre Etat « voyou » de la région entend profiter de la situation pour se refaire une réputation. L’Iran est venu en aide à l’Irak, y compris à la région autonome du Kurdistan, en leur livrant des armes, sans toutefois envoyer des combattants. Il a souligné aussi la communauté d’intérêts avec les Etats-Unis dans cette affaire. Les modérés du régime des mollahs ne seraient pas mécontents de se rapprocher des Occidentaux et d’obtenir quelques bénéfices dans la négociation sur le programme nucléaire iranien, qui traverse une passe difficile.
Devant Téhéran, le président de la République n’a pas fermé la porte. Tout en rappelant que la France a montré plus de fermeté que ses aillés occidentaux dans la négociation de l’accord intérimaire sur le nucléaire, en novembre 2013, il a évoqué la possibilité d’une coopération élargie. A certaines conditions toutefois. « Je récuse tout lien [entre le nucléaire et l’Irak], il n’aurait aucun sens, a-t-il déclaré. L’Iran doit tout simplement avoir le courage de prendre les mesures qui démontreront, de façon vérifiable et incontestable, son renoncement à une capacité nucléaire militaire. C’est vrai que la crise irakienne démontre que nos préoccupations ne divergent pas toujours avec l’Iran et que ce pays peut être un interlocuteur s’il décide, c’est la condition essentielle, de s’inscrire dans les principes qui permettent un échange sincère et utile. La France est prête à considérer l’Iran comme tel. Mais à ces conditions et seulement à ces conditions. »
Ces propos rappellent « la main tendue » de Barack Obama aux mollahs au début de son premier mandat en 2009. Son offre avait été ignorée. Depuis la situation a changé. A Téhéran un président considéré comme réformateur, Hassan Rouhani, a remplacé Ahmadinejad. La création d’un Etat islamiste dominé par les radicaux sunnites dans les pays voisins a de quoi inquiéter le guide suprême du chiisme iranien, l’ayatollah Khamenei. Dans la lutte que se livrent les modérés et les durs au sein du régime iranien, les premiers peuvent tirer avantage à la fois de la menace qui pèse sur la région et du rôle que l’Iran pourrait jouer s’il redevient un acteur international accepté.
Il est donc habile de la part de la France de jouer cette carte sans pour autant lâcher du lest dans la négociation nucléaire engagée depuis plus de dix ans. Mais en soulignant la possibilité pour l’Iran de redevenir un interlocuteur, François Hollande montre que la possession de l’arme nucléaire n’est peut-être pas le seul moyen pour un grand pays de jouer un grand rôle dans son environnement.