Parmi les initiatives annoncées le 14 janvier par François Hollande au cours de sa conférence de presse, quelques-unes concernent la construction européenne et, plus particulièrement, la coopération franco-allemande. Le chef de l’Etat avait annoncé, à l’occasion de ses vœux du nouvel an, qu’il prendrait au printemps « des initiatives avec l’Allemagne » pour « donner plus de force » à l’union entre les deux pays. Il avait alors réaffirmé son engagement européen en déclarant à l’intention des eurosceptiques : « Ce n’est pas en défaisant l’Europe que l’on fera la France de demain. Et je ne laisserai pas faire ceux qui nient l’avenir de l’Europe, qui veulent retourner dans les vieilles frontières en pensant qu’elles les mettraient à l’abri, qui veulent sortir de l’euro ».
La conférence de presse du 14 janvier a repris et amplifié cette tonalité offensive. « L’avenir de la France, c’est aussi l’avenir de l’Europe, a-t-il lancé. Et l’avenir de l’Europe, c’est aussi l’avenir de la France ». Des formules qui rappellent l’affirmation plusieurs fois répétée par François Mitterrand selon laquelle « la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». François Hollande inscrit clairement son action européenne dans le sillon de son prédécesseur socialiste. Comme lui, il met en garde ceux qui, au nom de la défense de la nation, combattent le projet européen. « Je ne laisserai pas faire, dit-il, ceux qui veulent en finir avec l’idée européenne, ni ceux qui veulent sortir de l’euro, qui pensent ainsi sauver la nation alors qu’ils la mettent en péril ».
Afin de « rassurer les frileux », François Hollande proclame que « faire l’Europe, ce n’est pas défaire la France », mais au contraire la protéger. « Il ne faut pas avoir peur de l’Europe, affirme-t-il encore, il faut plutôt craindre qu’elle ne s’affaiblisse et qu’elle ne finisse par disparaître ». Le chef de l’Etat appelle donc à une « relance » de l’Union européenne, qui ne se donne pas seulement pour objectif de « colmater les brèches » ou d’éviter les crises, mais s’efforce de donner un nouvel élan à la construction européenne grâce à la « dynamique franco-allemande » et, en même temps, de la « réorienter ».
Un vrai gouvernement de la zone euro
Comment ? Le président de la République rappelle les réformes en cours, comme l’Union bancaire, encore inachevée, ou le pacte de croissance, qui « aurait pu être plus ample ». Il redit sa volonté de parvenir à un « vrai gouvernement » de la zone euro, tourné vers la croissance et doté d’« une capacité financière qui pourrait nous donner des moyens pour agir ». Il adresse enfin à l’Allemagne trois propositions : une « convergence économique et sociale » comportant une harmonisation des règles fiscales, « notamment pour les entreprises » ; la constitution d’une grande entreprise franco-allemande pour la transition énergétique sur le modèle d’Airbus ; le développement d’une Europe de la défense. Trois initiatives qui, en s’appuyant sur la « belle alliance » franco-allemande, pourraient, selon lui, renforcer la coordination des politiques européennes.
De ces idées la plus novatrice est aussi la plus floue. C’est celle qui porte sur la transition énergétique et la formation de filières industrielles communes. Ce n’est pas la première fois qu’est proposée une communauté européenne de l’énergie appelée à coordonner les efforts en faveur des énergies renouvelables : Jacques Delors en a parlé dès 2007 et François Hollande a évoqué cette perspective dans la deuxième conférence de presse de son quinquennat, en mai 2013. A l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Elysée, en janvier 2013, la France et l’Allemagne s’étaient dites déterminées à « réussir la transition énergétique et écologique » et à « travailler ensemble au déploiement des énergies renouvelables » pour avancer « vers une véritable politique européenne de l’énergie ». Mais l’hypothèse d’une grande entreprise industrielle franco-allemande pour la transition énergétique, comparable au constructeur aéronautique Airbus, n’avait pas été envisagée.
Dissiper la méfiance
Les experts sont aujourd’hui plutôt dubitatifs. Ils soulignent les divergences entre les deux pays dans le domaine de la politique énergétique. Ils rappellent aussi les précédents échecs des partenariats industriels franco-allemands. Ils estiment que le rapprochement des normes et des réglementations est un préalable à toute entreprise commune. Certains notent la défiance de l’Allemagne à l’égard des initiatives françaises. Les Allemands, disent-ils, redoutent les effets d’annonce qui demeurent sans suite. « Aucun projet ambitieux de la relance de la coopération énergétique ne pourra réellement prendre corps s’il ne s’appuie pas sur une confiance respective des deux pays », écrivent deux spécialistes, Jean-François Jamet et Emmanuel Lefebvre, dans une étude publiée en janvier 2013 pour la Fondation Robert-Schuman. Le « tournant » social-libéral prêté à François Hollande et bien accueilli par Berlin pourrait dissiper en partie la méfiance allemande.
Les autres propositions françaises sont loin d’être nouvelles, mais leur répétition vise à les faire progresser dans le débat public. La mise en place d’un gouvernement de la zone euro, sous la direction d’un président à plein temps, et non du ministre des finances d’un des Etats membres, comme c’est actuellement le cas, a fait l’objet d’un accord de principe entre Paris et Berlin, à l’époque de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. Il reste à surmonter encore des divergences. En matière fiscale, l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés, qui porterait sur l’assiette et non sur les taux, est en discussion à Bruxelles. « Nous ne nous sommes pas attaqués aux taux mais à la base fiscale qui crée déjà beaucoup de distorsions entre les Etats », explique le commissaire chargé de la fiscalité, le Lituanien Algirdas Semeta. Quant à l’Europe de la défense, qui n’avance guère, elle a donné lieu à une discussion entre les Vingt-Huit au Conseil européen de décembre. Les idées défendues par François Hollande font lentement leur chemin. Elles devraient être présentes dans la campagne des élections européennes.
A quatre mois du scrutin, dont on redoute qu’il ne soit marqué par une forte abstention et un bon score de l’extrême-droite, le président de la République a choisi, non sans habileté, de se tourner vers la grande coalition au pouvoir à Berlin pour tenter de mobiliser un électorat qui croit encore à l’Europe et attend des preuves de son existence.