Hongrie : le triomphe d’Orban

La large victoire du conservateur Viktor Orban, premier ministre sortant, aux élections législatives du 8 avril, a été qualifiée avec raison par l’un de ses prédécesseurs, l’ancien premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany de « défaite » pour une « Hongrie européenne », pour une « Hongrie ouverte ». Viktor Orban avait mené en effet une campagne à la fois xénophobe et anti-européenne, faisant du refus de l’immigration son cheval de bataille et du rejet des « diktats » bruxellois un de ses principaux arguments. Ce discours nationaliste exacerbé a été plébiscité par les Hongrois, qui ont participé massivement au scrutin (avec un taux de 69,4% soit sept points de plus qu’il y a quatre ans) et brisé les espoirs de l’opposition, lourdement désavouée par les électeurs.

Avec 48,9% des suffrages, le Fidesz de Viktor Orban, associé à un petit parti chrétien, distance tous ses concurrents. Le Jobbik, parti d’extrême-droite en quête de recentrage, vient en seconde position, loin derrière, avec 19,8% des voix. La gauche est pulvérisée. Le Parti socialiste, allié au Dialogue pour la Hongrie, de Gergely Karacsony, qui conduisait la liste, est troisième, avec 12,4%. Il est suivi des Verts (6,8%) et de la Coalition démocratique, la formation de centre gauche créée par Ferenc Gyurcsany en 2011 lorsqu’il s’est séparé des socialistes (5,5%). Le parti du premier ministre sortant disposera d’une majorité des deux-tiers au Parlement, avec 113 sièges sur 199, ce qui lui donnera les mains libres pour modifier la Constitution. Le Jobbik aura 26 sièges, le Parti socialiste 20, les Verts et la Coalition démocratique moins de 10.

Le triomphe de Viktor Orban n’est pas une surprise. Il s’inscrit dans la spectaculaire progression des partis populistes en Europe, encore confirmée par les récentes élections en Autriche et en Italie. Aucun pays n’est épargné par la montée de ces forces anti-libérales qui, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest, remettent en question les valeurs des vieilles démocraties et provoquent l’affaiblissement, voire l’effondrement, de la droite classique aussi bien que de la social-démocratie traditionnelle. C’est en Hongrie que ce mouvement a pris le plus d’ampleur, c’est là surtout qu’il a acquis assez d’influence pour accéder au pouvoir, comme en Pologne, l’autre pays d’Europe centrale gagné jusqu’au sommet de l’Etat par la vague du populisme autoritaire ou, pour reprendre l’expression de Viktor Orban, « illibérale ».

Dans ces deux anciens Etats communistes, les gouvernements issus de cette puissante vague réactionnaire se sont attaqués depuis plusieurs années à tous les contre-pouvoirs, en particulier la justice et les médias, au nom d’une idéologie qui bafoue les principes de l’Etat de droit tels qu’ils sont compris et appliqués dans le reste de l’Union européenne. Et ils ont emporté l’adhésion d’une opinion publique, inquiète des menaces qui pèsent, croit-elle, sur son identité nationale et séduite par une propagande anti-islamique dont elle partage les stéréotypes. Le peuple hongrois pense ainsi avoir trouvé en Viktor Orban le rempart qui les protégera contre les périls venus du monde extérieur et, en particulier, contre l’expansion redoutée du « multiculturalisme ». Il a choisi de lui donner, pour les quatre ans à venir, une nouvelle légitimité.

L’issue du scrutin est préoccupante à la fois pour ceux des Hongrois qui restent attachés aux libertés fondamentales et pour l’Union européenne, dont la Hongrie est membre depuis 2004. Sur le plan intérieur, le régime Orban apparaît de plus en plus autocratique, même s’il a le soutien du peuple. Le premier ministre sortant est reconduit – c’est la première fois en Hongrie - pour un troisième mandat consécutif. Il est vraisemblable que son succès aura pour conséquence d’accentuer les tendances de ses deux précédents mandats (2010-2014, 2014-2018) plutôt que de les corriger. Le pouvoir personnel de Viktor Orban va s’en trouver renforcé. A l’image d’un Poutine en Russie ou d’un Erdogan en Turquie, Orban entend gouverner sans contrôle. L’opposition, en miettes, devra se renouveler profondément si elle vaut offrir un jour aux Hongrois une alternative crédible.

Sur le plan extérieur, la réélection de Viktor Orban est d’abord un défi lancé à l’Union européenne, qui n’a cessé de s’inquiéter à la fois des atteintes à l’Etat de droit en Hongrie et des dérives anti-européennes de Budapest. Au moment où les Européens, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, cherchent à s’entendre sur une relance de l’Europe, le souverainisme du dirigeant hongrois, partisan, comme le Front national en France, d’une Europe des Etats, et non pas d’une Europe communautaire, met en difficulté ses partenaires. « Les nationaux peuvent être majoritaires en Europe aux prochaines européennes de 2019 », a clamé Marine Le Pen en saluant la victoire du premier ministre hongrois. La bataille des idées est engagée. Elle oppose deux visions de l’Europe, deux visions de la démocratie. La meilleure réponse que puissent apporter Emmanuel Macron, Angela Merkel et leurs alliés à Viktor Orban et à ses semblables est de redonner à l’Union européenne son dynamisme perdu.