Horizon 2012 pour Medvedev et Poutine

La destitution du maire de Moscou Iouri Loujkov par le président Dmitri Medvedev est un épisode des luttes de clans au sommet de l’Etat russe. Même si Iouri Loujkov et sa femme milliardaire Elena Batourina n’étaient pas des parangons de vertu démocratique, la fin de leur règne sur la capitale russe n’annonce pas nécessairement des progrès dans la mise en place d’un Etat de droit.

Dmitri Medvedev ne se contente plus de prononcer des discours sur la nécessité de l’Etat de droit. Il agit. En destituant le maire de Moscou, Iouri Loujkov, en place depuis 1992, co-fondateur de Russie unie, le parti officiel dominant créé pour soutenir l’action de Poutine, il montré qu’il existe en tant que président et qu’il est décidé à utiliser ses prérogatives. Depuis une réforme de 2004 décidée par Vladimir Poutine, les gouverneurs des régions et les maires des grandes villes ne sont plus élus mais nommés par le Kremlin. Les observateurs russes s’interrogent sur le degré d’autonomie de Medvedev par rapport à son mentor passé en 2008 de la présidence à la direction du gouvernement parce que la Constitution lui interdisait plus de mandats consécutifs. Certains considèrent que Medvedev n’a pu s’en prendre à Loujkov sans l’accord de Poutine ; d’autres pensent que le président a tenté un passage en force pour priver le premier ministre, candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2012 d’un allié de poids. Avec plusieurs millions de votants, Moscou est un lieu stratégique pour emporter le scrutin.

Poutine candidat ?

Quoiqu’il en soit, la bataille pour 2012 est lancée. Poutine a distillé les petites phrases au cours des dernières semaines, laissant entendre qu’il pourrait être de nouveau candidat. Medvedev n’a visiblement pas renoncé à se succéder à lui-même. Tous les deux ont toujours affirmé qu’ils ne se présenteraient pas l’un contre l’autre mais tout se passe comme si chacun essayait de mettre les meilleures chances de son côté pour être, le moment venu, le héraut des clans au pouvoir.

Car toute cette agitation est le reflet des luttes d’influence au sein d’une petite caste qui contrôle la vie politique et économique de la Russie. Elle n’est pas le prélude à une démocratisation du régime, à une participation de la population au libre choix de ses dirigeants. Poutine et Medvedev ont certes deux conceptions du pouvoir, de la « modernisation » dont ils se font l’un et l’autre les champions, voire du rapport des citoyens à l’Etat, mais aucun des deux n’envisagent de laisser le choix aux Russes.

D’ailleurs ceux-ci ne le demandent pas. Ils ont avant tout peur du changement. La majorité de la population est encore traumatisée par les premiers temps du postcommunisme, début des années 1990, quand les privatisations ont provoqué un chaos économique et une chute brutale du niveau de vie. Elle assimile la démocratie à l’anarchie et à l’arbitraire des premières années Eltsine.

La classe moyenne, qui représente entre 4 et 20 % des Russes selon les critères retenus pour la définir, a également peur du changement. Elle craint de perdre ses acquis et respecte le « contrat social » implicite imposé par Poutine : vous pouvez vous enrichir mais vous ne vous mêlez pas de politique. La crise financière et économique mondiale, qui a durement touché la Russie, a écorné ce contrat mais elle ne l’a pas détruit. Dans un premier temps elle a certes renforcé les partisans de la fameuse « modernisation » de la Russie quand il est apparu que le pays ne pouvait pas se contenter de vivre de la rente pétrolière et gazière (les produits énergétiques représentent 70 % des exportations). Les dirigeants ont (re)commencé à parler de réforme.

« Modernisation » ou conservation

Toutefois, la hausse des prix du pétrole consécutive à la relance de l’activité économique mondiale a refroidi ces velléités de changement. Avec un baril à 70 dollars, la Russie, sinon les Russes, peut vivre confortablement. Pourquoi dès lors prendre le risque de détruire le fragile équilibre entre les oligarques, la classe moyenne et les siloviki, ces représentants des forces de l’ordre, armée, police et FSB, l’avatar du KGB dont est issu Vladimir Poutine ? C’est aussi la raison pour laquelle les élections doivent être strictement contrôlées. Les élites n’ont aucune confiance dans un système politique qui garantirait l’alternance.

Dmitri Medvedev essaie de se placer en porte parole des couches les plus dynamiques de la société russe qui ne conçoivent pas la « modernisation » comme un simple processus technologique mais qui savent que l’avenir de la Russie passe par une modernisation de la société et de la politique. Ces couches sont encore largement minoritaires. Face à elles, le clan des organes de sécurité compte sur l’apathie de la masse de la population, encore largement paupérisée, et sur la crainte que les changements inspirent aux nantis. Pendant dix ans, c’est sur ce clan que Vladimir Poutine s’est appuyé pour asseoir son autorité. Son atout, dans la bataille politique qui s’annonce, est qu’il pourrait apparaître comme un arbitre entre les siloviki, d’une part, et les « modernistes » à la Medvedev, d’autre part.