Il est encore temps pour l’Europe de changer de politique

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

« Il faut mettre fin aux rumeurs négatives ! » L’éditorial du quotidien grec de centre-droit Kathimerini est sans équivoque. La Grèce est de nouveau au milieu de la tourmente, le jour où la troïka, ce groupe de responsables de la Commission de Bruxelles, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fond monétaire international (FMI) se retrouve à Athènes pour examiner les progrès réalisés par le pays sur la voie de l’assainissement financier. C’est un euphémisme pour dire une réalité moins reluisante : il s’agit de juger si le retard pris par la Grèce dans la mise en œuvre du mémorandum empêche le versement d’une nouvelle tranche de crédit, sur les quelques 250 milliards d’euros qui lui ont été promis depuis 2010. Si le verdict de la troïka est négatif, l’Etat grec ne sera pas en mesure dès le mois d’août de faire face à sa prochaine échéance. Sauf à trouver un nouvel expédient, il devra se déclarer en faillite.

Les rumeurs auxquelles fait référence Kathimerini viennent essentiellement d’Allemagne. Selon une information confidentielle du magazine Der Spiegel – qui n’a pas été démentie —, le FMI aurait fait savoir aux autorités européennes qu’il n’était plus disposé à participer au financement de la Grèce. D’autre part, le ministre allemand de l’économie, Philip Rösler, a déclaré que le choc provoqué par une sortie de la Grèce de la zone euro a été anticipé. Le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, s’en tient, lui, au calendrier et aux conditions qui ont été fixés.

Comme si le fait que la Grèce fasse 11 milliards d’euros d’économies d’ici 2014 ou d’ici 2016 était vraiment décisif pour régler la crise européenne ! Entretemps, l’Espagne est entrée dans la spirale infernale – endettement, austérité, récession, endettement —, avec des taux d’intérêt qui ont atteint 7,5%. A 7%, les experts estimaient que Madrid n’était plus en mesure d’honorer le service de sa dette. L’Italie n’est pas loin derrière. De telle sorte que si la Grèce abandonnait l’euro, il y a fort à parier que le soulagement des marchés, si soulagement il y a, serait de courte durée et que l’effet dominos serait même accéléré. En février, pour faire accepter le deuxième plan d’aide à Athènes, Angela Merkel déclarait vouloir garder la Grèce dans la zone euro par « refus de l’aventure ». Cette crainte est toujours valable. La Grèce, l’Espagne, l’Italie, etc. ne sont que des symptômes d’une crise plus large qui affecte toute l’Union européenne, et en particulier la zone euro. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de problèmes spécifiques à ces pays et que ces problèmes ne doivent pas être traités. Au contraire.

Mais prendre le symptôme pour la maladie, c’est courir le risque d’entraîner tout le monde dans la catastrophe. Il est temps pour les responsables européens de prendre conscience du danger. La vanité de leurs efforts passés – vingt sommets « décisifs » qui n’ont rien réglé —, devrait les convaincre qu’il est temps de changer de politique économique et monétaire. Les principes sont des garde-fous précieux. En ce sens, les dirigeants allemands ont raison. Mais s’ils sont appliqués de manière dogmatique, sans tenir compte des situations réelles, ils sont une recette pour le désastre. Dans un discours devant le congrès du Parti social-démocrate, à l’automne dernier, le vieil Helmut Schmidt a comparé la politique allemande actuelle avec la politique déflationniste du chancelier Brüning au début des années 1930 et rappelé où elle avait mené.

Il est encore temps de se ressaisir. La BCE doit pouvoir agir comme toute banque centrale digne de ce nom, comme le font la banque d’Angleterre ou la Federal Reserve aux Etats-Unis. Elle seule peut imprimer de la monnaie. En Europe, les risques d’inflation sont limités. Les politiques d’austérité doivent être assouplies, non pour ouvrir toutes grandes les vannes du laxisme, mais pour donner plus de temps aux pays endettés pour remettre de l’ordre dans leurs finances. Des actions de relance peuvent être décidées au niveau européen. Tout ceci, bien sûr, ne devrait pas se faire sans contreparties de la part des gouvernements : un respect des règles garanti par une instance européenne, des réformes destinées à améliorer la compétitivité, des efforts en matière d’éduction, de recherche, d’innovation, etc.

Dans tous les pays européens, y compris en Allemagne dont le triple A vient d’être placé sous vigilance négative par l’agence de notation Moody, des économistes ont de tels projets dans leurs cartons. Il n’est pas besoin de grands changements institutionnels européens, ni de réforme des traités. Il suffirait que les responsables politiques aient le courage de reconnaître que les méthodes employées jusqu’à maintenant n’ont pas fonctionné et qu’il faut essayer autre chose. Bien expliquée, cette nouvelle politique pourrait être comprise par les opinions publiques. Le temps presse.