Il faut adapter le modèle français

Selon l’ambassadeur de France, Jacques Andréani, qui a été notamment en poste à Washington, l’esprit européen progresse en France, au risque de remettre en question certaines facettes de l’identité nationale. Ces évolutions sont nécessaires dans le monde d’aujourd’hui.

Dans une Europe qui appelle à une certaine unification des politiques, que peut-il advenir du « modèle français », reflet d’une identité nationale inscrite dans une histoire singulière ? Cette question est l’une de celles que soulève l’ambassadeur Jacques Andréani dans son livre Identité française (Odile Jacob). « Ce modèle français existe-t-il toujours ? Y croyons-nous encore ? Peut-il servir de solution alternative ? ». Telles sont quelques-unes des interrogations que formule l’auteur, invité le 21 juillet de la radio Fréquence protestante.

Au risque de surprendre, Jacques Andréani pose en principe que « le projet européen est l’un des attributs essentiels de l’identité nationale française ». En effet, explique-t-il, ce que la France a apporté au monde, c’est « une certaine conception universaliste », qu’elle a diffusée en Europe. Ainsi a-t-elle joué un rôle-clé dans l’invention et la propagation du grand rêve d’unité européenne. Elle a cherché, au XXème siècle, à donner corps à ce projet et continue aujourd’hui d’être l’un des moteurs de l’Union européenne.

Une conception jalouse de la souveraineté

En même temps, par un paradoxe que souligne l’ancien ambassadeur, la France développe une conception « jalouse » de sa souveraineté, qui ne la prédispose pas à se plier aux contraintes de la solidarité européenne. Pour résoudre cette contradiction, elle a longtemps cru, ou feint de croire, que ses idées, ses valeurs, ses méthodes « pouvaient servir à l’élaboration de règles communes à tous les Européens ». Le temps est venu de renoncer à cette illusion, souvent perçue comme une preuve de « l’arrogance française ».

C’est De Gaulle qui a poussé le plus loin cette notion d’une Europe « sous commandement français », qui se ferait, pour cette raison, sans abandon de souveraineté de la part de la France. Cette époque est révolue. « Il est assez clair, affirme Jacques Andréani, que si on veut plus d’unité, plus de cohésion, plus d’efficacité européennes, il faut bien accepter que les souverainetés soient exercées en commun sur quelques sujets fondamentaux ».

La relation entre l’Etat et la société 

Dès lors se pose la question de l’adaptation du modèle français, dont le trait distinctif est, selon l’ancien ambassadeur, la relation entre l’Etat et la société. L’Etat tient en France une place plus importante que dans la plupart des autres pays d’Europe. « Les Français ressentent le poids de l’Etat lorsqu’ils paient leurs impôts, mais ils ne détestent pas qu’il s’occupe de leur mode de vie ou de l’organisation de leur travail », estime Jacques Andréani.

Faut-il renoncer à ce modèle assiégé par le libéralisme désormais dominant en Europe ? « Il ne sera pas sauvegardé en totalité », concède l’ancien ambassadeur, qui demande qu’on en juge « chapitre par chapitre » et qu’on distingue les domaines où son action demeure positive de ceux où des évolutions sont nécessaires dans le cadre européen. Cela est vrai en matière économique mais aussi en matière politique où la tradition anti-parlementaire et la culture bonapartiste en France sont en contradiction avec les pratiques du reste de l’Europe.

Jacques Andréani se veut plutôt optimiste. Il rappelle l’internationalisation des études grâce aux programmes Erasmus. Il note aussi que « l’esprit européen » a progressé en France au cours des dernières années, en particulier au Quai d’Orsay où naguère le détachement des hauts fonctionnaires auprès des institutions européennes était mal vu et où il est, depuis dix ou quinze ans, encouragé.

Vers un patriotisme européen ?

La singularité française, conclut l’ancien ambassadeur, est « paralysante » si elle tourne le dos au monde extérieur. Le débat sur l’identité nationale organisé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été, selon lui, une erreur parce qu’il s’appuyait sur une vision « défensive et mesquine », fondée sur l’idée de l’identité nationale comme « une toise » sous laquelle devraient passer les nouveaux arrivants. En attendant que se crée un « patriotisme européen », Jacques Andréani parie sur « une certaine relativisation du nationalisme », liée notamment à l’unification européenne, pour que cette identité demeure ouverte sur les autres peuples.