La déplorable gestion de la crise grecque laissera des traces. Certes on a enfin un plan de sauvetage sans lequel la zone euro se serait peut-être dissoute – ce qui était le vœu secret des éternels adversaires de l’euro. Mais en France l’impression prévaut que l’Allemagne a hésité trop longtemps et que son gouvernement s’est montré réticent non seulement pour des raisons de politique financière mais aussi de politique intérieure.
Un chose a paru particulièrement désagréable : ce n’est pas sous la pression des autres Etats européens que l’Allemagne a agi, ni même sous la pression de la France mais sous l’insistance du secrétaire au trésor américain, Timothy Geithner. Et sous l’insistance du FMI. En tant que bon connaisseur de l’Allemagne, son chef, Dominique Strauss-Kahn, ne pouvait accepter l’argument mis en avant par la chancelière, à savoir qu’elle était liée par un Tribunal constitutionnel eurosceptique.
L’opinion française l’a très bien compris et ainsi a-t-on pu lire que l’Allemagne n’était plus aussi européenne qu’auparavant, et même qu’elle était devenue égoïste. Ce n’est pas tout à fait vrai. L’Allemagne est simplement européenne d’une autre façon qu’avant, parce que, à l’instar de la plupart de ses partenaires de l’UE, elle prend maintenant en compte ses intérêts nationaux, ce à quoi en Europe, et en particulier en France, on a du mal à s’habituer. Il n’en reste pas moins qu’au cours des dernières semaines l’Allemagne a donné l’impression par sa retenue qu’elle acceptait d’enfoncer la Grèce dans la crise.
Cette constatation, qui est exprimée aussi par les amis de l’Allemagne, n’a rien à voir avec les déclarations de tel ou tel nationaliste de droite ou de gauche. Non, la France n’est nullement devenue plus nationale, a fortiori plus nationaliste, malgré la campagne lancée par le gouvernement sur « l’identité nationale », à laquelle d’ailleurs peu de monde a participé. Simplement la France est sans doute le pays qui, compte tenu d’une histoire commune, se rend le mieux compte d’une évolution regrettable et réagit avec une extrême sensibilité. Le comportement du gouvernement allemand contient en effet le risque de voir la distance entre l’Allemagne et le reste de l’Europe s’agrandir et la coopération dans l’Union européenne être mise en danger.
La critique récente de la ministre française de l’économie et des finances, Christine Lagarde, contre une politique économique allemande insuffisamment orientée vers la relance du marché intérieur – critique d’ailleurs partagée par bien d’autres Etats de l’UE – est l’expression de ce malaise général vis-à-vis du nouveau rôle de l’Allemagne. D’autant que l’impression s’impose que l’Allemagne assume un rôle dirigeant en Europe ou au moins voudrait assumer un tel rôle, et qu’ensuite, dans une situation difficile, elle rejette la responsabilité afférente à ce rôle.
Cela rend le malaise d’autant plus fort que ce rôle dirigeant de l’Allemagne relativise le poids de la France, non seulement en Europe, mais vis-à-vis des autres puissances comme les Etats-Unis ou la Chine. Alors que l’Allemagne développe une stratégie y compris dans des régions où Paris était depuis longtemps à l’avant-garde – pensons à l’Afrique —, la France souffre de la relativisation de son influence, en premier lieu dans les relations transatlantiques (surtout depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison blanche) mais aussi dans la politique proche-orientale ou africaine, et aussi en ce qui concerne la politique extérieure culturelle, constitutive de l’identité de la France qui se considère toujours comme une nation ayant une mission culturelle.
L’Allemagne devrait tenir compte de cette incertitude.