L’alternance signifie-t-elle « une nouvelle politique étrangère pour un monde différent » ou seulement la même politique avec un gouvernement différent ?
Notre politique continuera-t-elle d’être soit la reproduction de ce qu’elle fut depuis des décennies, soit un ensemble de réactions pavloviennes à des évènements que nous n’aurons pas su prévoir ?
Voudrons-nous toujours conserver le mythe d’un ordre mondial, qui correspondait à un universalisme occidental dépassé, alors que le monde se révèle pluriel et divers ? Ou chercherons-nous à favoriser l’émergence d’équilibres partiels, à partir d’un fonds commun de quelques règles et principes ?
Refuserons-nous longtemps de voir que d’élargissement en élargissement, l’Europe est de plus en plus hétérogène avec, pour ses membres, de moins en moins de visions et d’objectifs communs ? Accepterons-nous que pour sauver l’Europe, il faut la refonder en ne croyant plus que l’économie mènera à la politique, en se centrant sur elle et le social et en s’y concentrant sur l’essentiel, tandis que distinctement, la France et l’Allemagne, peut-être deux ou trois autres pays, viseraient à un rapprochement de portée plus générale ?
Les Etats-Unis et la France, qui ne sont plus ni l’un ni l’autre ce qu’ils étaient il y a 50 ans et davantage, seraient-ils capables de repenser leurs relations, chacun à sa place, et ne plus se satisfaire de ce mélange stérile d’embrassades et d’incompréhensions qui caractérisent leurs relations depuis des décennies ?
Alors que MM. Poutine et Medvedev ont commencé de redresser la Russie mais que le chemin est rude, qui reste à parcourir, est-il bien opportun de les critiquer sans cesse à l’aune de nos principes et au mépris de la spécificité russe, au risque ce faisant de détourner la Russie d’une l’Europe, qui, avec la montée de la Chine et la menace islamiste, devrait être pour elle plus que jamais son partenaire privilégié ?
Saurons-nous comprendre, et réviser notre politique en conséquence, que si le « printemps arabe » a fait le lit de l’islamisme, c’est notamment en réaction contre l’Occident non seulement parce qu’il a été complice des anciens gouvernants, mais que ses enseignements ne paraissent plus porteurs d’espoir tant il apparaît lui-même devenu égocentrique et corrupteur ?
Pourrons-nous, sans renier pour autant nos alliances traditionnelles, fonder désormais prioritairement notre politique au Moyen-Orient, quelles que puissent être leurs divergences entre eux et éventuellement avec nous, sur les quelques pays qui, par leur importance, seront de plus en plus déterminants de la paix au Moyen-Orient : la Turquie, l’Egypte, l’Iran -dix fois plus peuplés- et l’Arabie Saoudite -six fois plus peuplée- ?
Aurons-nous la lucidité de reconnaître que M. Netanyahu ne veut pas d’Etat palestinien, que M. Mahmoud Abbas n’a pas de véritable pouvoir pour négocier, et que les renvoyer sans cesse à négocier, s’appuyant ou non sur la « feuille de route », est une voie sans autre issue que finalement tragique pour les uns et pour les autres, alors que les éléments d’une solution sont parfaitement connus de tous ?
Pourquoi, tout en se préoccupant des pénétrations chinoises ou autres, dire sans cesse que l’avenir de la France en Afrique est de collaborer avec les jeunes Africains désireux d’une Afrique africaine et continuer d’entretenir des relations ambiguës avec des chefs d’Etats corrompus et discrédités ?
Allons-nous longtemps ne pas voir que l’Amérique Latine est un continent d’avenir, où il n’y a pas que le Brésil, si puissant qu’il devienne, à être le seul partenaire valable ?
Depuis la reconnaissance de Mao par la France en 1964, celle-ci entretenait avec la Chine une relation singulière. Comment la rétablir, véritablement et durablement, y compris pour un dialogue politique, par delà les provocations françaises récentes (manifestation lors des Jeux Olympiques, réception du Dalaï-lama comme chef politique autant que religieux) et d’autre part nos dérives atlantistes ? Comment mieux coordonner, dans une vision d’ensemble, nos actions industrielles et commerciales dans le pays ?
Saurons-nous voir que le Japon, malgré ses difficultés et ses incertitudes, peut être pour la France un partenaire privilégié en Asie, et étendre en conséquence nos relations à un dialogue politique souvent amorcé et jamais poursuivi ?
Pourrons-nous admettre qu’avec près de 200 membres, les Nations Unies ne peuvent plus être les mêmes qu’à leurs débuts, avec 60 membres, et qu’il faut en particulier définir de nouvelles procédures pour associer des organisations régionales revigorées aux grandes décisions concernant ceux qui en font partie ?
Etc., etc. Il y aurait encore beaucoup de sujets à mentionner.
La France peut avoir un grand rôle à jouer dans le monde, il n’y a pas que des superpuissances ou des Etats voyous à pouvoir en avoir un. Mais il n’existe pas de droit acquis en matière internationale. Seules survivront, dans ce monde en gestation, les nations qui auront su adapter leurs comportements à un environnement continûment changeant.