« Mission accomplie ». Barack Obama aurait pu employer la même expression que George W. Bush, le 1er mai 2003, alors qu’il fêtait ce qu’il pensait être une victoire sur Saddam Hussein. Pour l’actuel président des Etats-Unis, mission accomplie veut dire qu’il a tenu sa promesse de campagne. Il a retiré d’Irak les troupes de combat que son prédécesseur avait envoyées, avec l’objectif de démanteler les armes de destruction massive qui ne s’y trouvaient pas, de chasser un dictateur sanguinaire – ce qu’il a fait – et d’établir en Irak une démocratie qui aurait servi de modèle à tous les peuples du Moyen-Orient – nous en sommes loin.
Après avoir amorcé une forme d’autocritique légère devant le fiasco de l’après-guerre, les néoconservateurs, qui ont joué un rôle déterminant dans la croisade irakienne de George W. Bush, relèvent la tête. A l’occasion du départ du plus gros contingent de forces américaines, ils tirent un bilan plutôt positif de l’aventure. Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la défense au moment de la guerre, partisan depuis la première guerre du Golfe « d’aller jusqu’à Bagdad », dresse une comparaison entre l’Irak et la Corée. Deux guerres impopulaires mais le conflit en Corée et surtout la présence continue de troupes américaines dans le sud de la péninsule a permis, après une phase de dictature, d’installer en Corée du Sud un régime démocratique et une économie florissante. Conclusion : la présence des Etats-Unis est indispensable à l’existence d’un Irak stable qui sera un pôle de stabilité dans la région.
Dans le même numéro de l’International Herald Tribune, David Brooks, le commentateur néoconservateur du New York Times, estime que le nation building, qui était un des objectifs de la guerre en Irak, a fonctionné. Tout n’est certes pas parfait à Bagdad, mais les progrès sont, dit-il, spectaculaires. Les Etats-Unis ont investi 53 milliards de dollars en Irak, dont la moitié, il est vrai, dans les forces de sécurité. La production de pétrole a pratiquement retrouvé son niveau d’avant-guerre. Près des deux tiers des Irakiens souhaitent l’installation d’un système démocratique, contre 19% seulement qui veulent un Etat islamique. Selon The Economist’s Intelligence Unit, l’Irak arrive au quatrième rang des pays du Moyen-Orient, derrière Israël, le Liban et le Maroc (sic).
Si l’on est optimiste et si l’on fait abstraction des attentats qui continuent, on peut en effet repérer des signes d’amélioration. Il n’est pas jusqu’aux interminables négociations pour la formation d’un gouvernement qui ne soient, pour les néoconservateurs, un argument en faveur de leurs thèses : dans quel pays arabe – mis à part le Liban, écrit Paul Wolfowitz —, le gouvernement est-il le résultat du libre jeu des partis ?
Cet optimisme est loin d’être partagé par tous les observateurs et les analystes. Professeur à Boston, Andrew Bacevich rappelle sur le site de The New Republic qu’on est loin en Irak de cette démocratie libérale de style occidental que les néoconservateurs prétendaient y installer. Le « surge », c’est-à-dire le renforcement des troupes que George W. Bush a ordonné en janvier 2007 et que ses partisans voient comme la condition du retrait actuel, a dans le même temps coûté plus de vies américaines et conduit à une réduction des ambitions de Washington. Andrew Bacevich en tire trois leçons : le nation building n’a pas marché. On laisse les Irakiens se débrouiller seuls alors que les perspectives de stabilisation sont loin d’être assurées. Depuis 2007 au moins, les généraux répètent qu’« il n’y a pas de solution militaire » (à ce genre de conflit). Autrement dit, il ne faut pas compter sur une victoire. Enfin, le concept de « succès » est devenu de plus en plus élastique au fil des années.
Andrew Bacevich regrette que dans son discours du 31 août, Barack Obama se soit contenté de marquer la fin de l’engagement militaire des Etats-Unis en Irak, ce qui est déjà beaucoup, mais en évitant de tirer les enseignements de la guerre en Irak, à laquelle il s’était opposé. La raison principale est que les trois leçons citées ci-dessus jetteraient une ombre sur un autre conflit que Barack Obama lui-même a qualifiée de « guerre de nécessité » : la guerre en Afghanistan. Dans ce pays où les perspectives de nation building sont encore plus sombres qu’en Irak, où tout le monde répète qu’il n’y a pas de solution militaire sans être sûr qu’il y ait une solution politique, et où il est hautement probable que le résultat le plus minimaliste sera qualifié de « succès », afin de laisser croire qu’un retrait sans victoire est autre chose qu’une défaite.