Iran-Europe : sept ans de vaines tractations

Depuis 2003, la communauté internationale, sous l’impulsion première des Européens, tente de négocier avec l’Iran afin que le régime des mollahs n’acquière pas la capacité de se doter de l’arme nucléaire. Jusqu’à maintenant en vain.

 

C’est paradoxalement la guerre en Irak qui a donné le coup d’envoi à un marathon de pourparlers avec l’Iran sur la question nucléaire, qui dure maintenant depuis près de sept ans. L’intervention américaine en Irak a eu deux effets. D’une part elle a mis en lumière la division des Européens, entre les Britanniques et d’autres qui soutenaient la politique de George W. Bush, et les Français et les Allemands qui la condamnaient. D’autre part, elle montrait qu’il ne fallait pas laisser pourrir un problème jusqu’à ce qu’une solution militaire apparaisse comme inévitable. Ainsi les ministres des affaires étrangères d’Allemagne, Joschka Fischer, de France, Dominique de Villepin, et de Grande-Bretagne, Jack Straw, se retrouvent à l’été 2003 pour proposer des négociations à l’Iran. En octobre, ils se rendent à Téhéran et obtiennent des Iraniens qu’ils signent le protocole additionnel au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968, qui prévoit la possibilité d’inspections inopinées de la part de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Il s’agit de vérifier que, conformément aux affirmations iraniennes, le programme nucléaire du pays ne poursuit pas d’objectif militaire.

Un accord en 2004

L’année suivante, un accord est conclu entre les trois Européens, ce qu’on appellera le UE3 ou E3, et l’Iran qui renonce à l’enrichissement de l’uranium moyennant des offres de coopération de la part de l’Union européenne. Les Américains, qui sont accaparés en Irak et qui n’ont plus de relations diplomatiques avec Téhéran depuis la prise d’otages à leur ambassade en 1979, semblent ne pas s’intéresser à ce qui se passe en Iran. Leur absence pèse sur les négociations entre le régime des mollahs et les Européens qui sont supposés représenter la « communauté internationale » préoccupée par les conséquences régionales d’un Iran possesseur de l’arme nucléaire. D’une part, les Européens ne sont pas en mesure de promettre une levée de l’embargo américain qui frappe l’Iran, d’autre part, les Iraniens sont soucieux de nouer des contacts directs avec les responsables américains, à la fois pour des questions de prestige et d’efficacité.

La précarité de l’accord entre l’E3 et l’Iran se trouve aggravée par le succès des conservateurs aux élections législatives en Iran, qui fragilise la position du président Khatami, puis, en juin 2005, par la victoire de Mahmoud Ahmadinejad à l’élection présidentielle. Quelques mois plus tard, Téhéran annonce la reprise de l’enrichissement de l’uranium dans son usine d’Ispahan. L‘accord trouvé entre l’E3 et l’Iran a volé en éclats, ouvrant à la voie à un recours au Conseil de sécurité des nations unies de la part de l’AIEA. Un nouveau groupe d’Etats apparait : le P5+1. Il s’agit des cinq membres permanents du Conseil de sécurité auxquels s’est jointe l’Allemagne, qui a été associée depuis le début aux négociations avec l’Iran.

Les réticences russes et chinoises

Les membres du groupe P5+1 sont loin d’être sur la même longueur d’ondes. Pour des raisons politiques et économiques, la Russie et la Chine sont mieux disposées à l’égard de l’Iran que les puissances occidentales. La première est en train de construire une centrale nucléaire à Busher, en Iran, et continue de vendre des armes à ce pays. Quant à la Chine, elle a besoin du pétrole iranien pour couvrir une partie de ses besoins énergétiques. Ni Moscou ni Pékin ne sont favorables à des sanctions contre le régime de Téhéran même quand celui-ci ne respecte pas les résolutions de l’ONU. Dans un premier temps, Russes et Chinois s’abstiennent au Conseil de sécurité, une manière de ne pas bloquer les sanctions proposées par les occidentaux sans pour autant s’y associer.

Un jeu du chat et de la souris commence alors entre la communauté internationale représentée par le P5+1 et l’Iran. A chaque pas fait par la première pour exercer une pression en vue de l’application des règles internationales (TNP, protocole additionnel au TNP, résolutions des Nations unies, etc.), Téhéran répond par des mesures visant soit à accélérer son programme d’enrichissement de l’uranium soit à restreindre le champ des inspections par l’AIEA. Les Iraniens cherchent de toute évidence à gagner du temps comme s’ils voulaient atteindre un point de non retour dans la capacité de produire une arme nucléaire couplée à des avancées dans l’essai d’engins balistiques susceptibles de porter des têtes conventionnelles ou atomiques. Ils procèdent tantôt en faisant mine d’accepter des négociations avec l’AIEA et le P5+1, tantôt en annonçant des progrès dans la maîtrise de la technologie nucléaire. Ce va-et-vient leur permet en outre de donner quelques arguments aux Russes et surtout aux Chinois pour refuser une aggravation du système des sanctions. La Russie fait d’ailleurs une tentative de conciliation, en proposant d’enrichir sur son territoire l’uranium iranien.

Dans le courant du printemps 2006, le président Ahmadinejad déclare coup sur coup que l’Iran est un pays nucléaire et qu’il rompra toutes relations avec l’AIEA si le Conseil de sécurité impose des sanctions. Quelques jours plus tard, il écrit au président américain (George W. Bush), dans une démarche sans précédent depuis la révolution islamique de 1979, pour lui proposer de « nouveaux moyens » de régler les tensions dans le monde. Dans ce qui représente aussi un changement de politique, Washington se dit prêt à participer directement à des discussions sur le programme nucléaire iranien aux côtés des Européens, à condition que Téhéran suspende l’enrichissement de l’uranium.

Le paquet de 2006

Le 6 juin 2006, le Haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune, Javier Solana, qui est l’interlocuteur « occidental » des Iraniens, offre un « paquet ». Les puissances occidentales proposent à l’Iran de lui fournir des centrales à eau légère, de l’aider dans son programme nucléaire civil et de lever l’embargo qui le frappe, de la part des Etats-Unis, depuis la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran. La reprise des négociations et la levée des sanctions sont cependant subordonnées à l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium.

La réponse de Téhéran est en demi-teinte : les autorités iraniennes sont prêtes à négocier mais sans « conditions préalables ». Dans ce but, elles transmettent à l’ONU un document qui ne répond pas aux conditions posées par la communauté internationale mais qui arrive à quelques jours de la limite fixée par le Conseil de sécurité (fin août 2006). L’objectif des Iraniens est toujours le même : gagner du temps en laissant croire qu’ils sont disposés à négocier sans rien céder sur le fond. En octobre, l’Iran met en service une deuxième cascade de centrifugeuses dans son usine de Natanz. Le 23 décembre, le Conseil de sécurité impose des sanctions, interdisant la vente à l’Iran de tout matériel pouvant contribuer au programme nucléaire ou balistique. Elle donne soixante jours à Téhéran pour « suspendre toutes ses activités nucléaires sensibles en termes de prolifération ».

En mars 2007, en l’absence de réponse iranienne, le Conseil de sécurité aggrave le régime de sanctions et l’Iran limite sa coopération avec l’AIEA.

Pour éviter un accroissement de la pression internationale – même les Russes commencent à être agacés par les atermoiements iraniens – Téhéran accepte la visite d’inspecteurs de l’AIEA dans des sites jusqu’alors fermés. L’Agence internationale constate que l’Iran poursuit ses activités d’enrichissement de l’uranium sans jamais conclure de manière définitive à la portée militaire du programme.

Les rapports entre l’Iran et l’AIEA connaissent des hauts et des bas qui se répercutent sur les relations entre ce pays et la communauté internationale. Le régime iranien semble rechercher une sorte de consécration de la part des Etats-Unis en tentant d’entraîner Washington dans une négociation globale. Son objectif serait une reconnaissance comme puissance régionale qui associerait l’Iran à la solution de tous les problèmes du Moyen-Orient depuis le conflit israélo-palestinien jusqu’à l’Irak ou l’Afghanistan. Si certaines voix s’élèvent aux Etats-Unis en faveur de ce grand bargain, ce grand marchandage, le président Bush reste sourd à ces appels.

En théorie, les Américains n’excluent pas une intervention militaire ciblée sur les sites iraniens d’enrichissement de l’uranium, soit pour accentuer la pression sur le régime des mollahs, soit pour calmer les ardeurs des dirigeants israéliens qui parlent ouvertement d’intervenir eux-mêmes militairement, ou simplement pour laisser toutes les options sur la table.

La main tendue de Barack Obama

Tandis que le 3 mars 2008, le Conseil de sécurité adopte une troisième résolution alourdissant le régime des sanctions, le chassé croisé entre l’AIEA et l’Iran se poursuit. Soucieux de rétablir un semblant de négociations, les Européens assouplissent les conditions posées à la reprise d’un dialogue. Ils ne demandent plus un arrêt du programme d’enrichissement mais une simple suspension qui pourrait intervenir non comme un préalable à la levée des sanctions mais de manière concomitante. En juin, le groupe 5+1 fait une nouvelle offre de coopération élargie à l’Iran, reconnaissant son droit à « développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques », droit qui lui est d’ailleurs reconnu par le TNP que Téhéran a signé.

Le mois suivant, une rencontre entre les Européens et les Iraniens se termine sur un nouvel échec bien que pour la première fois, un haut responsable américain participe à la réunion. L’élection de Barack Obama, le 4 novembre 2008, semble changer la donne. Le nouveau président veut pratiquer la politique de la main tendue et se dit prêt à une négociation globale avec l’Iran si ce dernier fait preuve de bonne volonté. Nicolas Sarkozy, partisan de la fermeté vis-à-vis du régime des mollahs, s’inquiète même de la « faiblesse » américaine.

Alors que les tentatives pour reprendre les discussions se multiplient, Téhéran poursuit la mise en œuvre de son programme balistique et nucléaire. Après quatorze mois d’interruption, le groupe P5+1 reprend les discussions à Genève avec les délégués iraniens pour tester l’existence d’une marge de manœuvre. Entre temps, Barack Obama, Gordon Brown et Nicolas Sarkozy avaient rendu publique une information des services de renseignements occidentaux selon laquelle l’Iran avait dissimulé une usine d’enrichissement de l’uranium située à Qom, plaçant ainsi Téhéran dans l’embarras vis-à-vis des Russes et des Chinois.

"Pirouettes"

En octobre, les Etats-Unis, la France et la Russie proposent d’enrichir l’uranium iranien à l’étranger – en France ou en Russie – et de le réexporter en Iran pour les besoins d’un réacteur à destination médicale. Les réactions des autorités iraniennes sont contradictoires, allant d’une acceptation sous conditions à un refus total. Washington fixe à la fin décembre la date ultime pour une réponse officielle iranienne. Téhéran réagit en lançant un « ultimatum » aux Occidentaux avec des propositions qualifiées de « pirouettes » par le gouvernement français et refusées par les Etats-Unis.

En février 2010, Ahmadinejad déclare un jour que l’Iran est disposé à envoyer son uranium faiblement enrichi à l’étranger, le lendemain qu’il n’est pas question qu’il le fasse. A l’occasion du 31è anniversaire de la révolution islamique, le président iranien annonce que l’Iran est devenu une « nation nucléaire » et est capable de produire de l’uranium enrichi à 20%. Les experts notent que le passage de 20 à 95% — taux nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire – est plus facile que le passage de 3 à 20%., mais ils ne sont pas d’accord sur le délai nécessaire à l’Iran pour accéder à la bombe.

Malgré les réticences des Chinois qui misent officiellement sur la négociation pour imposer un compromis à l’Iran, ces dernières déclarations du président Ahmadinejad apportent de l’eau au moulin des partisans d’un 4ème train de sanctions qui seraient décidées par le Conseil de sécurité. La difficulté est de « punir » les dignitaires du régime sans toucher aux intérêts d’une population qui depuis l’élection présidentielle du printemps 2009 multiplie les manifestations contre la réélection d’Ahmadinejad. La question plus générale de l’efficacité des sanctions reste elle aussi sans réponse.