Iran : l’opposition fragilisée

Mir Hossein Moussavi, principal opposant au pouvoir en place à Téhéran, ne réclame plus l’annulation des élections de juin 2009. L’opposition s’en trouve fragilisée se fragmente en deux tendances, celle qui voudrait voir évoluer la République islamique et celle qui voudrait la voir disparaître. François Nicoullaud, qui a été ambassadeur de France en Iran de 2001 à 2005, a écrit ce texte pour Boulevard Extérieur.

Mir Hossein Moussavi, principal opposant du président Ahmadinejad lors de l’élection truquée de juin dernier, et aujourd’hui principale figure de la contestation qui a gagné l’ensemble des villes d’Iran, vient de s’exprimer en un long communiqué à la suite des troubles graves, faisant au moins huit morts, qui ont marqué fin décembre la fête religieuse d’Ashura.

La presse internationale en a retenu qu’il s’y déclarait prêt au martyre, et de fait rien n’exclut qu’il se trouve prochainement arrêté, maltraité, voire pire, comme l’ont été tant de personnes de son entourage, et de personnalités de l’opposition. Moussavi, dans sa déclaration, se montre entièrement solidaire des manifestants de l’Ashura, même s’il souligne, ce qui est exact, qu’il n’avait pas lancé d’appel à descendre dans la rue. Façon de rappeler qu’il n’a pas cherché à orienter la masse des mécontents. Et s’il reconnaît certains débordements, il en impute l’entière responsabilité à la brutalité initiale des forces de l’ordre.

Vient ensuite un développement politique sur les voies de sortie de crise. Moussavi y présente un dispositif en cinq points : responsabilité effective du gouvernement devant le parlement et devant la justice, nouvelle loi garantissant désormais des élections ouvertes et loyales, libération de tous les détenus politiques, liberté de la presse, liberté de manifestation. Il invite le gouvernement à s’engager progressivement dans ces directions.

Mais là, force est de constater que le candidat malheureux à l’élection présidentielle se détache de ce qui était la revendication centrale de son mouvement, le Mouvement Vert, et des manifestations populaires qui ont ponctué le second semestre de 2009, à savoir l’annulation des élections de juin dernier, et donc la remise en cause du mandat présidentiel d’Ahmadinejad. Et de fait, en s’en remettant aux détenteurs actuels du pouvoir pour régler la crise en cours, il ne s’attaque plus à leur légitimité.

Cette concession majeure sera-t-elle appréciée par le régime ? Rien n’est moins sûr. On voit mal en effet les conservateurs s’engager dans les cinq réformes proposées, qui saperaient bientôt leur emprise sur les institutions de la République islamique. Et les premières réactions venues du noyau dur des conservateurs ne montrent aucune envie de composer, bien au contraire : les appels à mater les opposants, les incarcérations et les poursuites continuent de plus belle.

La masse des Iraniens qui s’en prennent à "Ahmadinejad dictateur", selon l’un de ses principaux slogans, se retrouve maintenant sans fédérateur, sans leader. Déjà les mots d’ordre naissaient spontanément du réseau internet, qui est le principal, et probablement le seul moyen de ralliement d’une population désabusée du régime. Mais internet ne dessine pas de stratégie, ne définit pas de ligne de conduite. Voilà donc l’opposition fragilisée, et appelée à se fragmenter en au moins deux grandes tendances, celle qui voudrait voir évoluer la République islamique et celle qui voudrait la voir disparaître. A noter aussi qu’elle n’a pas encore trouvé le moyen d’élargir ses revendications au-delà du seul champ politique, de façon à attirer vers elle les secteurs sociaux concernés au premier chef par leurs difficultés économiques : vie chère, chômage.

Même s’il y aura encore des bouffées de colère, même si les universités resteront encore longtemps des foyers d’agitation, le régime dispose donc, du fait du retrait de Mir Hossein Moussavi, d’une opportunité pour rétablir, sans rien céder sur le fond, une autorité fort compromise. En tout état de cause, rien n’est réglé. Si l’actuelle poussée populaire ne fait pas tomber le régime, il y en aura une autre, mieux organisée, plus puissante que la première. L’irrépressible modernisation de la société iranienne met de plus en plus en lumière la sclérose de la République islamique. Elle la condamne à terme, soit à disparaître, soit à profondément se modifier.