Iran : le pouvoir vainqueur jusqu’à quand ?

François Nicoullaud, qui a été ambassadeur de France en Iran de 2001 à 2005, analyse pour Boulevard Extérieur l’état des rapports de force à Téhéran à l’occasion des commémorations du 31e anniversaire de la révolution islamique, qui ont eu lieu le 11 février 2010.

Le noyau dur du régime a remporté le 11 février une victoire en empêchant l’opposition de se compter dans la rue à l’occasion des rassemblements marquant l’anniversaire de la république islamique, mais ce n’a été qu’une victoire tactique. Il l’a remportée par une politique d’intimidation préalable, en emprisonnant et en inculpant à rythme accéléré, en même en semant la terreur par l’exécution de deux pauvres opposants au terme d’une parodie de procès. Il a aussi mobilisé toutes les populations sur lesquelles il exerce aisément son contrôle, agents de l’Etat et des entreprises publiques, ainsi que leurs familles. Ces gens sont venus, certes pas en foules immenses, mais

enfin suffisamment nombreux pour à peu près remplir le champ des caméras officielles. Il a enfin quadrillé Téhéran et les autres grandes villes par d’impressionnants dispositifs policiers, intervenant aux premiers signes de désordre. Cette victoire tactique ne change évidemment rien au fond, les frustrations de larges couches de la société iranienne demeurent, elles ressurgiront d’autres façons, tôt ou tard, si le régime se laisse aller sur sa pente actuelle : crispation à l’égard de toute critique, écrasement de toute opposition.

Déjà, aucun ministre ne se risque dans une université iranienne de peur d’y être conspué. Même Ahmadinejad, même Ali Khamenei, guide suprême de la révolution, sortent peu désormais, et devant des auditoires choisis. Ali Khamenei sait qu’il a perdu tout prestige en étant contraint, pour sauver des élections truquées, d’apparaître enfin clairement pour ce qu’il était : le leader d’une faction politique, et non celui de la société iranienne dans son ensemble. Il pourrait aujourd’hui tirer parti de la position favorable, mais éminemment éphémère, dans laquelle le place le succès relatif de la gestion de la journée du 11 février, pour reprendre de la hauteur en jouant les magnanimes, en libérant les prisonniers politiques, en tendant la main aux leaders de l’opposition. Ceux-ci sont aussi des fils de la révolution, ils ne veulent pas la mort de la république islamique, mais son évolution, croyant encore et malgré tout qu’elle pourrait enfin déployer les potentialités démocratiques contenues dans la Constitution de la république islamique.

Evidemment, il faudrait alors pouvoir marginaliser l’incontrôlable Ahmadinejad. Celui-ci est déjà sensiblement isolé, mais avec quand même un noyau solide de partisans, tant au parlement qu’au sein de l’inquiétante force prétorienne du régime, c’est-à-dire des Pasdaran. Il pourrait donc résister. Et lui aussi se démène pour se refaire une santé politique, tantôt en recherchant la réconciliation avec les Américains sur le dossier nucléaire -ce qui lui assurerait en effet une popularité instantanée - tantôt, se trouvant bloqué sur cette voie par tous ses concurrents politiques, en annonçant au contraire des projets mégalomaniaques tels que la construction de dix usines d’enrichissement, ou l’envoi prochain d’un Iranien dans l’espace.

Et l’Occident dans tout cela ? Aux programmes irréalisables d’Ahmadinejad, il répond par la menace de sanctions dont chacun sait qu’elles seront inefficaces, au moins à court et moyen terme. Reste le

 terrain des Droits de l’Homme, le seul sur lequel l’on pourrait aider la courageuse opposition iranienne. Mais les gouvernements européens et américain se sont en quelque sorte disqualifiés pour agir vigoureusement dans ce domaine, toute intervention de leur part pouvant être aisément interprétée comme étant au service d’autres intérêts : la chute du régime, le blocage du programme nucléaire, la protection d’Israël... Ce serait donc plutôt aux opinions, aux sociétés civiles de monter en première ligne. Ce sont des voix auxquelles les Iraniens sont très sensibles : ceux de l’opposition bien sûr, qui ont grand besoin d’être réconfortés, mais aussi les gens du régime, qu’il est tout à fait possible par ces moyens d’ébranler : car, curieusement, ce sont souvent les gens les moins respectables qui ont le plus soif de respectabilité.