Si la fermeté des réactions européennes contre la répression en Iran tranche avec la prudence américaine, tout le monde s’interroge sur les raisons qui ont poussé le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, à prononcer, vendredi 19 juin, jour de la prière, un discours très dur contre les contestataires et contre le candidat modéré à l’élection présidentielle, Mir Hussein Moussavi.
Jusque là, le régime n’était pas en danger. Moussavi, au même titre qu’Ahmadinejad et les autres candidats autorisés à se présenter, est un produit de la révolution islamique. S’il y avait compétition, c’était à l’intérieur du système. L’enjeu du scrutin n’était pas le sort de la révolution mais tout au plus son orientation. C’était encore le cas lors des premières manifestations de protestation contre la fraude. Au fur et à mesure que les jours passent, le Guide ayant jeté tout son poids en faveur d’un camp sans pour autant faire cesser la contestation, les manifestants vont se retourner contre un système qui permet voire encourage la fraude. Khamenei risque d’obtenir exactement l’inverse de ce qu’il souhaitait éviter.
Ahmadinejad et le nucléaire
Pourquoi a-t-il pris ce risque en soutenant sans réserve Ahmadinejad ? Certains experts pensent que l’affaire du nucléaire a joué un rôle essentiel dans la décision du Guide. Celui-ci, auquel reviennent en dernier ressort les décisions essentielles, serait totalement engagé en faveur du programme nucléaire iranien. Certes ce programme semble faire l’unanimité des forces politiques voire de la société iraniennes. Mais les modalités peuvent être différentes. Si Mir Hussein Moussavi n’a jamais remis en cause cette politique pendant sa campagne, le camp des conservateurs et des forces de sécurité pouvait craindre qu’il ne soit plus sensible aux pressions internationales pour suspendre l’enrichissement de l’uranium. Autrement dit, tout le monde en Iran est d’accord sur le principe du programme nucléaire mais tout le monde n’est pas d’accord sur le prix qu’il faut payer pour y arriver.
Avec Ahmadinejad, ce camp se donne quatre ans supplémentaires pour que l’Iran soit en mesure de produire l’arme nucléaire.
Quatre scénarios
Que va-t-il se passer maintenant en Iran ? Quatre scénarios sont envisageables. Le premier est de type Tien An Men : une répression sanglante qui étouffe toute velléité de protestation. Deuxième scénario : confrontés au harcèlement violent de la police, les partisans de Moussavi se lassent et les manifestations s’étiolent petit à petit. Il ne faut pas exclure une troisième hypothèse : le régime perd peu à peu ses soutiens traditionnels qui perdent confiance dans la capacité des autorités de rétablir la situation. Enfin, le système, à bout de souffle, est en train de jeter ses dernières forces dans ce qui pourrait être son chant du cygne.
Selon qu’on se trouve dans l’un ou l’autre de ces scénarios, les conséquences sur la politique étrangère de l’Iran et donc sur la manière dont les Occidentaux peuvent réagir sont différentes. Cette incertitude explique d’ailleurs la modération des réactions américaines. Sorti affaibli d’une réélection contestée, Ahmadinejad peut tout aussi bien tenter de renforcer sa position intérieure en cherchant un dialogue avec l’Occident qui sortirait l’Iran de son isolement, lèverait quelques sanctions et donnerait de l’air à l’économie, qu’opter pour un durcissement qui lui permettrait de souder une frange plus importante de la population autour de slogans nationalistes.
Vers un grand marchandage ?
Dans ces conditions, Barack Obama doit déposer son offre de négociation sur la table, tout en ne nourrissant aucune illusion sur la réponse de Téhéran. Outre l’arrêt du programme nucléaire militaire iranien, son intérêt est de neutraliser l’Iran, voire de gagner son appui sur les autres fronts où l’influence de ce pays peut être essentielle : l’Irak, l’Afghanistan et le conflit israélo-palestinien. Cette option suppose cependant que le pire scénario, du type Tien An Men, ne se produise pas à Téhéran. Car pour des raisons intérieures, il serait alors plus difficile à Barack Obama d’imposer son idée qu’il faut aussi parler avec les « méchants ». Une nuance cependant : en 1989, après le massacre de la place Tien An Men à Pékin, le président George H. Bush avait envoyé son chef du Conseil national de sécurité, Brent Scowcroft, pour dire discrètement aux dirigeants chinois qu’ils ne devaient pas prendre au pied de la lettre les protestations indignées de l’administration américaine…
La question fondamentale que doit affronter l’administration Obama, et au-delà d’elle, les Occidentaux qui depuis 2003 tentent d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, est de savoir ce que les Iraniens peuvent demander dans un éventuel dialogue. S’il s’agit de reconnaître à l’Iran un statut de puissance régionale, les Occidentaux vont avoir des problèmes avec leurs alliés dans le Golfe, car c’est bien cette hégémonie iranienne que les pays de la région craignent par-dessus-tout. Selon la formule d’un expert israélien, ils craignent un Iran doté de la bombe, encore plus une intervention militaire (américaine) destinée à empêcher l’Iran d’avoir la bombe, et encore plus un grand marchandage entre les Etats-Unis et l’Iran qui se conclurait sur leur dos.
C’est pourquoi Barack Obama semble décidé à attaquer de front tous les problèmes de la région, du conflit israélo-palestinien à l’AfPak (Afghanistan-Pakistan) en passant par l’Irak. Les événements de Téhéran ne lui facilitent pas la tâche.