Iran : une escalade dangereuse

Donald Trump a fait de l’Iran l’ennemi public numéro un de l’Amérique – une Amérique qui n’a pas oublié l’humiliation de la prise d’otages dont elle a été victime il y a quarante ans à Téhéran et qui continue de tenir le régime iranien pour le principal responsable des désordres du Moyen-Orient. Un an après s’être retiré de l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015 par l’Iran avec les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne, le président américain multiplie les gestes destinés à accentuer les pressions sur la République islamique.
Officiellement l’objectif est d’obtenir une renégociation de l’accord, aux conditions de Washington. Ces conditions, beaucoup plus dures que celles qu’a acceptées Téhéran en paraphant l’accord de juillet 2015, ont été énoncées il y a un an par le secrétaire d’Etat Mike Pompeo. Elles portent à la fois sur le volet nucléaire, dont il demande que certaines clauses, aujourd’hui limitées dans le temps, deviennent définitives, sur la prolifération des missiles balistiques, à laquelle il veut mettre fin, et surtout sur l’engagement de l’Iran dans les conflits du Moyen-Orient, dont Washington réclame la cessation.
En détaillant les exigences particulièrement rigoureuses formulées par Washington, Mike Pompeo déclarait alors que celles-ci pouvaient sembler « irréalistes » mais qu’elles étaient « basiques » à ses yeux. Téhéran, ajoutait-il, « n’aura plus jamais carte blanche pour dominer le Moyen-Orient ». Il annonçait en même temps « les sanctions les plus fortes de l’histoire » contre l’Iran en attendant que celui-ci se plie aux demandes américaines. Ce sont ces sanctions que Donald Trump veut renforcer, au risque d’une dangereuse escalade qui pourrait mettre le feu aux poudres dans une région déjà prompte à l’embrasement.

Un climat de préparation à la guerre

Ainsi le président américain vient-il d’annoncer la suppression des exemptions accordées à huit pays – Chine, Inde, Corée du sud, Japon, Taïwan, Turquie, Italie, Grèce - qui étaient encore autorisés à importer du pétrole iranien. Quelques jours plus tôt, il avait annoncé l’inscription des Gardiens de la révolution, principale force armée iranienne, sur la liste des organisations terroristes. A ces mesures d’intimidation s’est ajouté notamment un déploiement de moyens militaires (porte-avions, bombardiers B-52) dans le Golfe, qui accroît le climat d’insécurité, voire de préparation à la guerre. Washington se défend de vouloir renverser le régime iranien mais Mike Pompeo a lui-même entretenu l’ambiguïté en déclarant en mai 2018 : « au bout du compte le peuple iranien devra faire un choix sur ses dirigeants ».
L’Iran a répliqué à ces menaces en annonçant qu’il se retirait de deux clauses de l’accord de juillet 2015. Il ne limitera plus, comme le prévoit le texte, les stocks d’uranium faiblement enrichi et d’eau lourde. « Cette opération a pour but de sauver l’accord, non de le détruire », a déclaré le président iranien, Hassan Rohani. Celui-ci a également donné soixante jours aux autres signataires de l’accord, à commencer par les Européens, pour « rendre opérationnels leurs engagements, en particulier dans les secteurs pétrolier et bancaire », c’est-à-dire pour maintenir un minimum de commerce avec l’Iran en contournant les sanctions américaines. « Ultimatum » rejeté par les Européens, qui tentent pourtant de calmer le jeu.

La responsabilité de l’Europe

« Quelqu’un peut-il sauver l’accord ? », demande une éditorialiste du New York Times, qui répond : « l’Europe peut-être ». Lorsque les Américains ont présenté en mai 2018 les douze conditions draconiennes que devrait remplir, selon eux, un nouvel accord, la haute représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère, Federica Mogherini, avait exprimé son désaccord avec les propositions de Washington en affirmant qu’il n’y avait « pas de solution alternative » et qu’elle ne voyait pas comment la sortie de l’accord « rendrait la région plus sûre » face à la menace de prolifération nucléaire. L’UE, avait-elle souligné, « est et restera engagée en faveur de la mise en oeuvre complète et effective » de l’accord de juillet 2015 « aussi longtemps que l’Iran respectera tous ses engagements liés au nucléaire, comme il le fait jusqu’à présent ».
La position des Européens n’a pas changé. Ils refusent de rompre avec Téhéran en suivant Donald Trump dans ses initiatives aventureuses. Mais ont-ils le pouvoir de s’opposer à Washington et d’affirmer, sur ce sujet, la « souveraineté européenne » que revendiquent certains d’entre eux ? Ont-ils les moyens de maintenir vivant l’accord de juillet 2015, qu’ils jugent indispensable à la fois pour empêcher le retour des plus radicaux au pouvoir à Téhéran et pour assurer stabilité de la région ? Rien n’est moins sûr.
Ce qu’on peut attendre de l’Union européenne, c’est d’abord qu’elle développe et consolide le mécanisme qu’elle a mis au point pour contourner les sanctions américaines en se soustrayant à la domination du dollar, ce qui serait une manière de venir en aide à une économie iranienne affaiblie par la politique de Washington. La voie est étroite. Les Européens savent qu’ils s’exposent à la colère des Etats-Unis mais ils considèrent que le maintien de l’accord est vital pour leurs intérêts. Même si les effets de ce mécanisme sont encore marginaux, son application aurait une portée symbolique non négligeable.
Ensuite l’Europe doit tout faire pour tenter de limiter l’escalade des menaces et des provocations entre Téhéran et Washington en s’employant à dissiper les malentendus éventuels générés par l’absence de dialogue. Elle peut permettre à Hassan Rohani de gagner du temps, ce qui est encore pour lui la meilleure solution s’il ne veut ni capituler ni entrer dans le cycle périlleux des mises en garde et des représailles. Ce peut être l’occasion pour les Européens de jouer un rôle de médiateur en ne cédant ni aux pressions des Etats-Unis ni aux demandes de l’Iran. S’ils n’y parviennent pas, le risque d’une confrontation militaire devient sérieux.