Dans un article publié le 28 février dans le Herald Tribune, Landon Thomas rend compte des entretiens qu’il a eus à Dublin avec plusieurs économistes irlandais. L’un d’entre eux, Morgan Kelly, très pessimiste, estime que l’Irlande est en train de connaître un destin "à l’islandaise" : What separates Ireland from Iceland ? According to a local joke, the letter C. According to Morgan Kelly, about six months. (...) Ireland, another small, open economy plagued by deficits and an outsized banking sector with incalculable losses, may face similar troubles.
Le scénario de Morgan Kelly : une contraction du PIB irlandais de 20% et un chômage à plus de 10% dans les années à venir, sans exclure totalement une quasi-faillite du pays, que seule une intervention conjointe du FMI et de l’Europe pourraient éviter. "It’s not about the property developers and the banks anymore - it is about the survival of Ireland", souligne Morgan Kelly.
D’autres économistes interrogés par le journaliste du Herald Tribune, sont plus mesurés dans leur analyse et insistent sur les différences entre l’Irlande et l’Islande. "For one thing, they point out, Ireland’s public debt is a manageable 40 percent of gross domestic product. For another, Ireland’s banking sector, more than twice the size of the national economy, does not even approach that of Iceland, they note, which was about 10 times the size of its economy".
Quoi qu’il en soit, le "tigre celtique" est bien mal en point. Le premier exportateur du pays, l’américain Dell, second fabricant mondial d’ordinateurs, a annoncé le transfert de sa production pour d’autres pays (Europe orientale, Afrique et Moyen-orient), détruisant 1.900 emplois dans l’île. Avec un scandale bancaire à la clé (la banque Anglo Irish, qui vient d’être nationalisée, accordait des prêts non déclarés à son président), tous les ingrédients sont réunis pour une crise de confiance sans précédent : naturellement, les sondages sont très mauvais pour la coalition au pouvoir entre le parti de centre-gauche du Premier ministre Brian Cowen (le Fianna Fail), et les Verts. Plus de 120.000 personnes, pour l’essentiel des fonctionnaires, sont descendues dans la rue dimanche 22 février pour protester contre les coupes budgétaires décidées par le gouvernement.
Ce contexte nouveau modifie l’opinion des Irlandais sur l’Europe. Selon les dernières enquêtes d’opinion, une large majorité d’Irlandais pensent que l’Irlande votera "oui" lors du prochain référendum sur le traité. Lors du référendum organisé le 12 juin 2008, les Irlandais avaient rejeté à 53% le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais a accepté d’organiser un second vote, à une date non encore précisée, après avoir notamment obtenu la garantie de conserver un commissaire européen irlandais. "L’actuelle récession semble avoir apporté un nouvel éclairage à l’Europe et à notre place au sein de l’UE. Largement plus de la moitié de la population est inquiète de voir l’Irlande perdre son statut en Europe", expliquait l’institut de sondage Lansdowne Market Research le 30 janvier dernier, évoquant un "séisme" dans l’opinion.