Israël : Une passation de pouvoir délicate

 

Le testament politique d’Ehud Olmert

La semaine dernière, Ehoud Olmert accordait une longue interview en forme de testament à la presse israélienne. Les propos méritent d’être rapportés : « la décision que nous avons à prendre est une décision que depuis quarante nous refusons de regarder en face ». « Nous devons nous retirer de presque tous les territoires, sinon de tous ». Quant à Jérusalem, elle devra être partagée : « Ceux qui veulent continuer à contrôler toute la ville devront inclure 270 000 Palestiniens à l’intérieur des frontières israéliennes. Cela ne marchera pas. Il faut trancher. C’est une décision difficile, terrible, qui contredit nos instincts naturels, nos sentiments les plus profonds, notre mémoire collective et les prières du peuple juif pendant deux mille ans ».

Ces déclarations n’auraient rien de très marquantes en soi – elle ne font que rappeler les modalités déjà connues d’un accord – si elles ne provenaient pas de cette personne-là et à ce moment-là. C’est un premier ministre toujours en activité, même s’il est sur le départ, qui s’exprime ainsi. C’est aussi un homme provenant du Likoud, parti qui a toujours eu pour doctrine l’exact inverse de ces propos : poursuite de la colonisation, refus de la constitution d’un Etat palestinien, plus largement négation que le problème palestinien soit le problème central d’Israël. Ariel Sharon, peu avant son accident, avait déjà opéré ce même tournant, par réalisme, par ambition de trouver une solution durable. C’est ce qui l’avait amené à rompre avec le Likoud et à créer le parti Kadima.

Le cheminement de Tzipi Livni 

Tzipi Livni vient de la même école. Elle aussi a longtemps soutenu les positions les plus radicales du Likoud. Sans pouvoir encore vraiment le dire, dans cette période délicate de constitution d’un nouveau gouvernement fondé sur une très courte majorité, elle aussi soutient désormais le contraire. Lundi, dans son premier discours de politique étrangère après son élection à la tête de Kadima, elle a tenu à se distancer des propos d’Ehoud Olmert, sans pour autant les désavouer. Elle a juste indiqué qu’elle ne se sentait liée par aucune date – alors qu’Ehoud Olmert affirmait que « nous avons face à nous une occasion limitée dans le temps »-, et que sans rentrer dans le fond des paramètres rappelés par son prédécesseur, « ce qui compte ce n’est pas de comprendre quels sont les compromis nécessaires mais de bien mener les pourparlers ». Avant d’ajouter : « des négociations politiques, cela se fait dans une pièce close et non dans les journaux ».

A travers ces propos, Tzipi Livni laisse apparaître toute la faiblesse de sa position. Les tractations avec les composantes de sa coalition sont difficiles, et le Likoud reste en embuscade, sachant qu’il est en position de gagner des élections anticipées si aucune majorité n’arrive à se dégager. Benjamin Netanyahou redouble donc ses attaques. Il s’est notamment longuement exprimé dans le Financial Times mardi pour expliquer tout le mal qu’il pense des négociations actuellement en cours. Un retrait de Cisjordanie détruirait la « ceinture stratégique de sécurité » d’Israël, affirme-t-il : « tous les endroits desquels on se retirera seront investis par l’Iran et ses alliés ». Au lieu de discuter d’un Etat palestinien, explique-t-il, il vaut mieux travailler à l’amélioration des conditions de vie en Cisjordanie, en créant des petites zones économiques déconnectés les unes des autres et spécialisées dans une activité (il propose par exemple que Jéricho profite de sa proximité avec le Jourdain pour se transformer en un centre d’accueil géant du tourisme évangéliste américain…). Et de toute façon « le problème majeur n’est pas le problème palestinien », affirme-t-il, c’est « la bataille entre l’Islam radical et le monde occidental ».

Evolutions palestiniennes

La partie palestinienne n’est pas beaucoup mieux placée pour porter un accord. L’Egypte organise actuellement une tentative de réconciliation entre Fatah et Hamas. Une rencontre entre les deux partis palestiniens devrait se tenir début novembre. Dans une interview au Figaro, Khaled Mechaal, le chef du Hamas, ne se montre pas fermé. A mi-mots, il se dit même prêt à accepter tous les compromis nécessaires à un accord de paix, y compris la reconnaissance d’Israël, mais ne manque pas de taper quand il faut sur Mahmoud Abbas et se montre très vigilant sur toute tentative de négociations qui marginaliseraient le Hamas. Les relations restent donc tendues et émaillées par divers incidents. Suite à l’arrestation en début de semaine de deux activistes en possession d’armes et d’une ceinture d’explosifs par les forces de sécurité du Fatah, le Hamas a pour la première fois réagi fortement en publiant un communiqué appelant ses hommes à s’opposer par la force aux tentatives d’arrestation de la part de l’Autorité palestinienne.

Méfiance persistante

La réconciliation n’est donc pas gagnée et la méfiance reste forte. C’est ce qui faisait dire à Tzipi Livni que les déclarations d’Ehoud Olmert étaient malvenues dans le contexte actuel : Mahmoud Abbas n’a actuellement pas la force politique d’accepter un tel accord, et pousser en ce sens reviendrait à tendre une perche à tous ceux qui répètent inlassablement qu’on ne peut pas discuter avec les Palestiniens, et que ce sont eux qui font échouer les négociations.

On retrouve là l’inépuisable dilemme de ce conflit. Comme le notait Kissinger, le Proche-Orient est « le seul conflit dont tout le monde connaît la solution ». Tout le problème est de trouver la fenêtre d’opportunité politique qui réunira deux leaders suffisamment solides pour pouvoir porter cet accord sans exploser aux prochaines élections. Le temps n’est peut-être pas encore venu.